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LE MÉNESTREL

de vivre, 3 tableaux de M. J. Normand ; Celle qu’on n’épouse pas, un acte de M. P. Alexis, et la Loi de l’honneur, 3 actes de M. Hervieu.

L’Odéon, dont la nouvelle direction est très curieusement attendue à l’œuvre, le passé de l’un de ses directeurs, M. Antoine, laissant prévoir de curieuses tentatives, l’Odéon ne rouvrira ses portes que le 30 septembre avec le Capitaine Fracasse, de M. E. Bergerat, suivi, dès le lendemain, du Danger, 3 actes de M. Arnaud. Ce sont les spectacles classiques et d’abonnement qui semblent avoir, avant tout, préoccupé MM. Ginisty et Antoine. On cite, comme devant constituer les spectacles d’abonnement : Jules César, de Shakespeare, traduction vers et prose, de M. L. de Gramont ; Richelieu, de Bulwer-Lytton, traduction de M. Ch. Samson ; La Mort de Danton, de Büchner, traduction de M. A. Dietrich ; la Maréchale d’Ancre, d’A. de Vigny ; la Reine Jeanne, de M. Frédéric Mistral ; Ésope, de Th. de Banville ; etc., et sans ordre précis, une comédie, sans titre, de M. Anatole France, une pièce de M. Paul Arène, également sans titre ; Mon Enfant de M. A. Janvier, les Corbeaux de M. Becque ; la Promesse de M. Rosny, Vallobra de M. P. Alexis et un Don Juan de M. Haraucourt. Pour les matinées classiques, on parle de monter les Perses d’Eschyle, avec une partition musicale dee M. Xavier Leroux ; l’Apollonide d’Euripide, traduction de Leconte de Lisle ; le Plutus d’Aristophane ; l’Euphormion de Térence ; l’Andromède de Corneille ; la Sœur de Rotrou ; Turandot, princesse de Chine, de Gozzi ; des reconstitutions du théâtre de Hardy ; des farces, etc.

Pour les théâtres de genre, nous sommes moins renseignés, messieurs les directeurs libres s’offrant de plus importantes vacances que leurs confrères subventionnés.

Le Vaudeville rouvrira avec Lysistrata, puis donnera le Partage de M. Guinon, l’Amour de Manon de M. de Porto-Riche, Aphrodite de M. P. Louys, la Douloureuse de M. Maurice Donnay et une reprise de Sapho.

Le Gymnase se contente d’annoncer la reprise de la Famille Pontbiquet.

La Renaissance commence avec le Passé de M. de Porto-Riche. Suivront une pièce de M. Sardou, sans titre, Plus que reine de M. E. Bergerat, Lorenzacio d’Alfred de Musset, et une comédie de M. Guiches, dont le titre « snob » a soulevé tant de réclamations.

La Porte-Saint-Martin va donner cette semaine le Jacques Callot de MM. Henri Cain et Adenis frères (prière à MM. les typographes, ici et dans l’alinéa relatif à l’Opéra-Comique, de ne point gratifier M. Cain d’un tréma sur l’i ; vieux Breton, il tient, avec raison, à ce que l’on n’estropie pas son nom, ainsi qu’on le fait trop souvent). La solution de l’affaire Coquelin fera naître vraisemblablement des projets auxquels on n’osait trop songer.

Aux Nouveautés on rouvrira avec Mignonnette de MM. G. Duval et G. Street, suivie de pièces de MM. A. Bisson, Gandillot, Capus (Une jeune fille avec tache) et P. Weber.

Aux Bouffes on a repris, jeudi, Miss Helyet, en attendant le Monsieur Lohengrin, de MM. Fabrice Carré et Ed. Audran.

Aux Variétés, reprise de l’Œil crevé, puis une pièce-féerie de MM. Blum et Ferrier et des reprises d’Offenbach et d’Hervé.

Au Palais-Royal, M. Varney fera son entrée avec une opérette.

À la Gaité, deux nouveautés : la Poupée de MM. M. Ordonneau et Audran, et le Maréchal Chaudron, musique de M. Lacome.

Aux Folies Dramatiques, dont M. Victor Silvestre devient effectivement directeur à partir du 20 de ce mois, on montera, après la Falote en cours de représentations, Rivoli de MM. Burani et André Wormser, et on songe surtout à faire de fructueuses reprises.

Reprise encore au Châtelet, dont c’est assez la facile habitude, avec la Biche au bois.

À l’Ambigu, trois drames : la Corde au cou de MM. E. Pourcelle et A. Jaime, la Maîtresse d’école de M. E. Tarbé et la Joueuse d’orgue de MM. X. de Montépin et J. Dornay.

À Cluny, la première nouveauté sera une opérette en 3 actes et 6 tableaux, signée de MM. Chivot, Gavault, de Cottens et Varney.

À l’Eldorado, qui, en dépit de bruits contraires, demeure théâtre, on donnera la Reine des reines, de MM. Flers et Audran.

Enfin, l’ancienne Comédie-Parisienne, prenant le nom d’Athénée-Comique, inaugurera, sous la direction de M. Lerville, avec Madame l’Avocat de MM. Depré et Galipaux, que suivront la Course aux jupons de M. L. Gandillot, un vaudeville de MM. Ordonneau et Froyez, et Père naturel de MM. Depré et Charton.

Voilà ce dont on parle, d’ores et déjà, mais vous savez qu’au théâtre les surprises sont monnaie courante. Perette et le Pot au lait !… Au seuil de cette campagne nouvelle, souhaitons cependant à tous, auteurs, artistes et directeurs, réussite sur réussite. Les succès, quoi qu’on en pense, ne se nuisent pas les uns aux autres.

Paul-Émile Chevalier.

MUSIQUE ET PRISON


PRISONS POLITIQUES MODERNES
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(Suite)

En province, les maisons de force étaient loin d’avoir de telles attentions pour leurs pensionnaires. Les Souvenirs de l’un d’eux, Martin Bernard, nous apprennent que les condamnés politiques étaient soumis à une discipline très sévère dans ces prisons et surtout au Mont-Saint-Michel, que son isolement rendait cependant plus facile à surveiller. Cette solitude dans un des plus beaux sites du monde, au milieu d’une mer souvent irritée, mais toujours impuissante contre le colosse de granit, cette solitude, dis-je, n’eût peut être pas effrayé une âme contemplative ; mais pour des esprits inquiets, agités, remuants, habitués à l’activité des sociétés secrètes et se croyant de bonne foi indispensables au bonheur des peuples, une immobilité qui enchaînait leur initiative était le pire des supplices. Ils durent néanmoins à la musique, comme les Italiens du Spielberg, un de ces éclairs de bonheur qui traversent si rarement le ciel bas et sombre des longues captivités. Martin Bernard nous raconte en termes émus ce doux souvenir :

« Un soir, dit-il, alors que tout reposait dans la forteresse, nous fûmes réveillés de notre premier sommeil par le bruit de chants qui partaient de la grève. Il n’y avait pas à se méprendre sur la destination de ces chants : c’étaient la Marseillaise et le Chant du départ. Oh ! qu’ils furent doux à nos oreilles et à nos âmes ! Nous n’en perdîmes pas une syllabe. Et nous ne pouvions point douter qu’ils ne vinssent de cœurs qui sympathisaient vivement avec notre position. L’illusion pour nous devint si grande, que nous crûmes reconnaître la voix de plusieurs de nos camarades de Paris. Nous lançâmes quelques noms aux échos de notre rocher. Mais, soit que nos mystérieux amis craignissent de nous rendre l’objet des rigueurs de nos geôliers, soit qu’ils ne voulussent pas s’exposer eux-mêmes aux investigations inquisitoriales du commandant de place, exerçant un pouvoir presque discrétionnaire sur les étrangers qui venaient au rocher, les chants cessèrent et nous n’entendîmes plus que ces mots : « Adieu ! Courage ! »  »


Le règlement était tellement précis et formel, qu’en l’absence même d’étrangers pouvant communiquer avec les détenus, ceux-ci avaient rarement l’autorisation de chanter quelques strophes de la Marseillaise, dont l’écho se perdait dans la grande voix de la mer. À Doullens, où Martin Bernard subit le reste de sa peine, la règle était moins rude ; le régime de la vie en commun facilitait les expansions musicales des détenus. Les dates, toujours fêtées, du 14 juillet et du 10 août, servaient de prétexte à un banquet fraternel, aussi copieux et aussi délicat que pouvaient le permettre les tolérances pénitenciaires ; et ces solennités politico-gastronomiques se terminaient, comme on pense bien, par la Marseillaise et le Chant du départ.

À neuf heures du soir, quand sonnait la cloche du couvre-feu, se produisait la mise en scène que nous avons déjà signalée à Sainte-Pélagie. Au milieu de la cour, tête nue et genou en terre, les détenus enlevaient avec une conviction souvent plus robuste que leurs poumons, la fameuse strophe :

Amour sacré de la patrie…

Toutefois, la musique légère n’était pas entièrement bannie des cachots de Doullens. Les prisonniers, pour s’y livrer avec la fantaisie qui naît de l’improvisation, avaient décidé qu’ils célébreraient sur le mode badin leurs anniversaires respectifs. Ils se réunissaient donc, à la chute du jour, dans la chambre de l’un d’eux, et de là, précédés d’un orchestre aussi bruyant que burlesque, ils se rendaient chez le compagnon d’infortune qu’ils voulaient fêter et qui semblait profondément étonné de ce témoignage de cordiale sympathie. Surprise bien jouée, car tout aussitôt, après la réception du bouquet et des compliments d’usage, il distribuait des rafraîchissements commandés depuis le matin au chef cantinier.

Une fois le dernier toast porté, les musiciens montaient sur la table et jouaient des quadrilles auxquels les détenus répondaient par une chorégraphie non moins extravagante que les effusions lyriques de l’orchestre.