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LE MÉNESTREL

On a constaté l’existence de 130 bandes de Tziganes qui jouent dans les différents établissements de plaisir, restaurants, cafés, etc. ; le nombre de ces musiciens est de 997. En dehors des Tziganes il existe 32 bandes non militaires qui donnent un total de 216 musiciens, et 21 orchestres de dames, qui jouent principalement dans les cafés, comptant 154 artistes. On a aussi compté onze pianistes qui se font entendre dans différents établissements, et 22 musiciens de nationalité serbe qui se produisent sur le tambourin national. Les musiques militaires ne sont pas comprises dans cette statistique, mais elles jouent fréquemment dans plusieurs établissements et bals publics ; les musiciens qui se produisent à l’Exposition du millénaire n’ont pas été comptés non plus, car ils ne restent pas toujours à Budapest. On peut évaluer à deux mille le nombre de personnes qui gagnent leur pain à Budapest en faisant de la musique populaire. C’est un chiffre assez considérable pour une ville qui compte à peine un demi-million d’habitants.

— L’empereur Guillaume ii doit aller prochainement à la Porta westphalica, près Minden, en Wesphalie, pour voir le monument grandiose qu’on a érigé à son grand-père Guillaume Ier et à l’inauguration duquel il n’avait pu assister. À cette occasion, sept cents trompettes et trombones du pays exécuteront, dit-on, des fanfares en son honneur et tous les orphéonistes westphaliens se rassembleront pour chanter des chœurs. Est-ce que tous les habitants de ce pays, célèbre par ses jambons et par le pain bis qu’on nomme Pumpernickel, joueraient de la trompette ou du trombone ?

— Le chef d’orchestre Bilse, de Berlin, vient de célébrer le 80e anniversaire de sa naissance, et a reçu à cette occasion des félicitations innombrables. Sans être précisément « un virtuose de la baguette », pour nous servir d’une expression de Hans de Bülow, M. Bilse a le grand mérite d’avoir rendu populaire à Berlin les chefs-d’œuvre symphoniques, en organisant des concerts populaires où un orchestre assez nombreux jouait sous sa direction fort convenablement du Haydn, du Mozart, du Beethoven, du Schubert, du Mendelssohn et du Schumann. Le prix d’entrée variait entre 60 centimes et 1 fr. 25 c., et les ouvriers mêmes se payaient une ou deux fois par semaine le plaisir d’assister à un « concert Bilse. »

— Nos lecteurs se souviennent du projet que l’on a d’ériger un monument funéraire à J.-S. Bach dans la nouvelle église Saint-Jean à Leipzig. On annonce que le comité a déjà réuni à cet effet plus de 20.000 francs.

M. Wilhelm Speidel, directeur du Conservatoire de Stuttgard, fort connu en Allemagne comme compositeur populaire et comme pianiste, vient de célébrer le soixante-dixième anniversaire de sa naissance et a reçu à cette occasion des marques nombreuses de sympathie, surtout de la part des orphéons allemands, qui ont popularisé ses compositions.

M. Gianturco, ministre de l’instruction publique du royaume d’Italie, qui, nous avons eu occasion de le dire, est à la fois virtuose et compositeur et prend le plus grand intérêt aux choses artistiques, vient de décider la création d’une classe de plain-chant au Lycée musical de Sainte-Cécile, de Rome. Il a confié cette classe au professeur Filippo Mattoni, l’un des meilleurs chanteurs de la chapelle Giulia.

M. Bianchi, auteur d’un opéra intitulé Sarah, qui a déjà été joué avec succès, vient de terminer la partition d’un nouvel opéra en trois actes, Almanzor.

— Un opéra inédit en un acte, intitulé Refugium peccatorum, paroles de M. Louis Jugand, musique de M. Antonio De Lorenzi Fabris, sera prochainement joué à Venise.

— Un nouvel opéra du compositeur napolitain Giannini, intitulé Ruit hora (L’heure s’envole), sera prochainement joué au théâtre de Portici, près Naples. Le jeune compositeur dirigera en personne la première.

— Au festival musical de Norwich on jouera pour la première fois un opéra inédit, Héro et Léandre, paroles de M. Arrigo Boito, le librettiste de Verdi, musique de M. Luigi Mancinelli, le chef d’orchestre bien connu. Cet ouvrage sera joué ensuite au théâtre Covent-Garden.

— On a donné au Savoy-Théâtre de Londre une nouvelle opérette intitulée Wheater or No, dont la musique a été écrite par M. Luald Selby sur un livret de MM. Adrian Rossa et W. Beach.

— Les artistes anglais n’ont véritablement pas de chance en ce moment. Nous apprenons en effet que pendant une représentation au Grand-Théâtre, à Croydon, une actrice a reçu dans la cuisse toute la charge d’un pistolet. Ce nouvel accident provient uniquement de la maladresse d’un acteur.

— Lors de son voyage en Angleterre, le vice-roi chinois Li-Hung-Tchang a été gratifié, à Dalmeny, d’un concert de musique écossaise. Toute une bande a joué les meilleurs pièces de son répertoire sur la cornemuse écossaise (bagpipe), et quelques douzaines de montagnards écossais dans leur costume, qui manque absolument de pantalon, ont dansé la célèbre danse nationale (Higgland fling), qui manque tout à fait de femmes. Le vieil homme d’État chinois a semblé beaucoup admirer les jambes nues des danseurs, mais les sons du bagpipe n’avaient pas précisément l’heur de lui plaire. À un grand seigneur écossais qui lui posait la question embarrassante : « Comment plaît à Votre Excellence notre musique nationale ? » le mandarin a répliqué avec un léger sourire : « Probablement autant qu’à Votre Seigneurie la musique chinoise ». De gustibus, etc.

— Une certaine agitation se fait actuellement remarquer en Angleterre tendant à la modification de la fameuse loi sur l’observation du repos dominical, The Lord’s Day Act, qui date de 1781. Cette loi a déjà occasionné beaucoup de procès au sujet des concerts et autres délassement musicaux qu’on donnait le dimanche, et les juges ont souvent interprété d’une manière contradictoire ses prescriptions. On désire donc un texte plus clair et plus large de la loi dominicale, car même les personnes qui croient, avec raison, que la bonne musique n’empêche pas la sanctification du dimanche, ne réclament pas l’abolition du Lord’s Day Act. Tout récemment on a ouvert, le dimanche, au public la Galerie nationale de Londres, et les travailleurs, qui n’avaient jamais pu voir les trésors d’art appartenant à la nation, ne pouvant pas les visiter les jours non fériés, profitent largement de cette aubaine. Ne doit-on pas rendre accessible aux humbles ouvriers les chefs-d’œuvre de la musique aussi bien que ceux de la peinture ? Au point de vue du repos dominical, qui est certes fort désirable, un bon concert classique vaut certainement la plupart des sermons qu’on débite dans les églises anglaises et est de beaucoup préférable aux distractions auxquelles les gens de condition modeste se livrent en Angleterre le dimanche, quand ils ne s’ennuient pas mortellement chez eux.

— On a fêté récemment, à Stockholm, le soixante-dixième anniversaire de la naissance de M. Ivar Hallstrœm, le compositeur suédois le plus populaire et l’auteur, dit-on, du premier opéra national. M. Hallstrœm a écrit d’ailleurs plusieurs ouvrages dramatiques : Hertig Magnus, dont le sujet était tiré d’un épisode de l’histoire de la Suède, et qui fut représenté au théâtre royal de Stockholm en 1867 : la Montagnarde enlevée, 1874 ; la Fiancée du gnome, opéra fantastique, 1875 ; les Vikings, 1877. On lui doit aussi quelques autres compostions de moindre importance.

— L’Opéra néerlandais de Rotterdam devra, cette saison, sa subvention à une loterie originale. Un comité vend 25.000 numéros au prix de deux francs. Les lots seront formés par cent titres d’abonnement pour la saison entière, et c’est le directeur qui touchera les 50.000 francs que cette loterie doit rapporter.

M. Grau, le directeur du Métropolitan Opera-house de New-York et du théâtre Covent-Garden de Londres pendant la prochaine saison, est en train de compléter ses engagements d’artistes chanteurs. Or, plusieurs grands artistes internationaux, ayant appris qu’un des candidats à la présidence des États-Unis préconisait le monnayage libre de l’argent et redoutant les conséquences de cette mesure pour la valeur du dollar, ont renvoyé les contrats préparés en exigeant que les mots « en or » fussent ajoutés partout où il s’agissait du bienheureux dollar. Mille dollars en argent ne représentent en effet, au prix actuel du métal blanc, que cinq cents dollars en or, et à ce prix les rossignols ne veulent pas chanter à New-York, même s’ils appartiennent au sexe fort. Ce fait amusant prouve que les artistes modernes sont très ferrés sur l’économie politique ; on s’étonne même que certains États aux finances délabrées n’aient pas encore songé à donner le portefeuille des finances à un ex-fort ténor, ou, ce qui vaudrait peut-être mieux, à une ancienne chanteuse légère.

— Un journal américain publie une note d’après laquelle il prétend nous faire connaître les bénéfices que leurs tournées dans l’Amérique du Nord procurent à nos artistes européens. Selon ses calculs, M. Paderewski aurait empoché là-bas 1.400.000 francs, Mmes Calvé et Melba chacune un million, MM. Maurel et Plançon aussi un million, les frères de Reszké 1.250.000 francs, et ainsi de suite. À la suite de ces renseignements, notre confrère d’outre-Océan hasarde cette réflexion dont on ne saurait méconnaître la justesse : « Notre argent cessera d’aller dans la poche des artistes européens le jour où l’Amérique pourra produire des pianistes et des chanteurs d’égale valeur. » Parfaitement. Il ne s’agit que de savoir quand l’Amérique pourra fare da se.

— Il paraît que la fameuse « siffleuse » américaine dont on a tant parlé il y a une année environ, fait des élèves et des prosélytes. Un de nos confrères américains nous fait savoir qu’il devient de mode là-bas d’enseigner aux jeunes filles à siffler au lieu de chanter. Il raconte à ce sujet que récemment, à New-York, dans une cérémonie nuptiale, une douzaine de demoiselles d’honneur avait « sifflé » en perfection, avec un ensemble superbe et des nuances exquises, la Marche nuptiale de Mendelssohn. Voilà qui va bien, et qui donne une grande idée du goût musical des Américains — et des Américaines. À quand le prochain orchestre de siffleuses ?

— Les Américains en prennent à leur aise avec les chefs-d’œuvre, lorsque ceux-ci les gênent quelque peu. Il paraît que récemment, dans une ville des États-Unis, lors d’une exécution de la Symphonie avec chœurs de Beethoven dirigée par M. Théodore Thomas, le fameux chef d’orchestre dont la renommée est si grande au delà de l’Atlantique, on a joué la dernière partie… en la transposant un ton plus bas. Je ne doute pas que ce ne fût beaucoup plus commode pour les chanteurs : solistes ou choristes, mais c’est égal, le procédé est sans façon, et il serait curieux de savoir ce qu’en eût pensé Beethoven s’il eût pu croire qu’on le mît un jour en pratique !

— Antoine de Kontski, le doyen des pianistes vivants, dont nous avons annoncé la tournée artistique autour du monde, est arrivé en Australie et a donné à Melbourne une série de concerts avec un succès énorme. Il s’est