Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/170

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Puis un bruit de face giflée, de morceau de fer tombant sur le pont, de lutte brève, tandis que l’ombre d’un corps coupait le grand panneau de sa course rapide, obliquement, devant l’ombre d’un coup de pied. Une voix, qui pleurait de rage, vomit un torrent d’ignobles injures.

— Ils lancent des choses, à présent, bon Dieu ! grogna M. Baker dérouté.

— C’était à mon intention, dit le capitaine tranquillement. J’ai senti le vent ; qu’était-ce ? Un cabillot de fer ?

— Diable, dit M. Creighton.

Les voix confuses des matelots au milieu du navire se mêlaient au clapotis des lames, montaient parmi les voiles muettes et distendues, semblaient déborder dans la nuit, plus loin que l’horizon, plus haut que le ciel. Les étoiles luisaient sans défaillance au-dessus des mâts penchés. Des traînées de lumière zébraient l’eau, divisées par l’étrave en marche ; et, le navire passé, tremblaient encore longtemps, comme d’effroi de la mer murmurante.

Entre-temps, l’homme de barre, curieux de savoir ce qui se passait, avait lâché la roue ; et, courbé en deux, courut, à longs pas amortis, jusqu’au fronteau de dunette. Le Narcisse, abandonné à lui-même, vint doucement au vent, sans que personne s’en rendît compte. Il roula légèrement, puis les voiles assoupies s’éveillèrent soudain, heurtèrent toutes ensemble les mâts d’un claquement puissant, puis s’enflèrent, l’une après l’autre, en une succession rapide de détonations sonores qui tombèrent des hauts espars jusqu’à ce que, la dernière, la grand-voile se bombât violemment avec le bruit d’un coup de canon. Le navire trembla de la pomme des mâts à la quille, les voiles continuaient à crépiter comme une salve de mousqueterie, les écoutes de chaîne et les maillons, détachés, tintinnabulaient là-haut en grêle carillon ; les poulies gémirent. On