Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/171

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eût dit une secousse irritée donnée au navire par une invisible main, afin de rappeler les hommes qui peuplaient ses ponts au sens de la réalité, de la vigilance, du devoir.

— La barre au vent, commanda le capitaine. Courez derrière, monsieur Creighton, voir ce qui arrive à cet imbécile.

— Bordez plat les focs. Pare à drosser au vent, gronda M. Baker.

Surpris, des hommes couraient prestement en répétant les ordres. Le quart relevé, abandonné par le quart de service, dériva vers le gaillard d’avant par groupes de deux ou trois, dans un clabaudage de discussions bruyantes.

— On verra ça demain ! cria une grosse voix comme pour couvrir d’une insinuation de menace une retraite sans gloire.

Puis on n’entendit plus que les ordres, la chute des lourds rouleaux de cordages, le cliquetis des poulies. La tête blanche de Singleton semblait voleter çà et là, dans la nuit, au-dessus du pont, comme un oiseau fantôme.

— On marche, sir, héla M. Creighton de l’arrière.

— On porte plein.

— All right !…

— Filez les écoutes de foc en douceur. Levez les manœuvres, grogna M. Baker affairé.

Peu à peu s’éteignirent les bruits de pas, les colloques de voix confuses, et les officiers, assemblés à l’arrière, discutèrent les événements. M. Baker, dans le désarroi de ses pensées, grognait, M. Creighton rageait, malgré son sang-froid apparent ; mais le capitaine Allistoun demeurait calme et réfléchi. Il écoutait la dialectique mêlée de grognements de M. Baker, les incidentes sévères jetées par Creighton, tandis que, les yeux fixés sur le pont, il soupe-