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Page:Le Songe de Poliphile - trad. Popelin - tome 1.pdf/254

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d’amour, je me pris à souhaiter un repos opportun et naturel. Mes paupières rougies se fermèrent sur mes yeux humides et, sans être au juste ni dans une mort cruelle, ni dans une existence délectable, cette partie qui n’est pas unie aux esprits vigilants et amoureux et qui n’a que faire avec une opération aussi haute que la leur, se trouva envahie, dominée, vaincue par un long sommeil.

Ô Jupiter altitonnant, heureux, admirable ! dirai-je cette vision inouïe, terrible, au point qu’en y pensant il n’est atome en tout mon être qui ne brûle et qui ne tremble ? Il me sembla d’être en une large plaine verdoyante, émaillée de mille fleurs et toute parée. Un silence absolu y régnait dans un air exquis. L’oreille la plus fine n’y percevait aucun bruit, aucun son de voix. La température y était adoucie par les rayons d’un soleil bienfaisant.

Ici, me disais-je à part moi, tout rempli d’un étonnement craintif, aucune trace d’humanité n’apparaît à l’intuitif désir ; on n’y trouve aucune bête sauvage, aucun animal féroce ou domestique ; il n’y a pas une habitation rurale, il n’y a pas une hutte champêtre, pas un toit pastoral, pas une cabane. Dans ces sites herbins, on n’aperçoit aucun berger, on ne rencontre aucun banquet. Là, pas un pâtre de bœufs ou de cavales ; on n’y voit pas errer de troupeaux de moutons ou de gros bétail, accompagnés du flageolet rustique à deux trous, ou de la flûte sonore enveloppée d’écorce. Rempli de confiance par le calme de la plaine, par l’aménité du lieu, j’avançais rassuré, considérant de ci de là les jeunes frondaisons immobiles dans leur repos, ne discernant rien autre chose. Ainsi je dirigeai droit mes pas vers une épaisse forêt où, à peine entré, je m’avisai que, sans savoir comment, j’avais, sans prudence, perdu mon chemin. Voilà donc qu’une terreur