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Page:Le Sylphe - Poésies des poètes du Dauphiné, tome 1, 1887.djvu/205

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REVUE DES ECRIVAINS DAUPHINOIS 7 qui, jusque dans l'empreinte variée et farouche de la douleur, laissaient deviner la commune vulgarité de leur origine, j'aperçus une figure torturée, elle aussi, par la souffrance, mais éclairée par deux beaux yeux noirs et relevée par une grande finesse de traits. Le contraste était d'autant plus frappant, que dans ce lieu jonché de soldats, dont la plainte était violente et brutale comme le métier, cette figure semblait résignée plutôt que désespérée, douce plutôt que virile, et racontait une blessure morale aussi bien qu'une blessure physique. On reconnaissait à première vue, près de ces rudes travailleurs des champs ou de l'atelier, au teint hâlé par le soleil, ou plombé par le manque d'air, le fils de famille oisif et distingué, qu'avaient affiné la réflexion et embelli le sentiment. Je m'approchai de lui avec un curieux et vif intérêt. Pauvre jeune homme ! Il avait tout un côté de la poitrine troué par un éclat d'obus et la blessure large et profonde ne devait laisser aucun espoir, pas même au blessé. Du reste, s'il ne criait pas comme la plupart de ses voisins de torture, si, à force de stoïque courage, il parvenait à faire taire la nature qui voulait se révolter, il laissait pourtant voir tout son martyre dans son gémissement sourd, mais continu, et l'on devinait que cherchant une délivrance à son mal, il espérait la mort plus qu'il ne la redoutait. Profondément ému par cette situation, je lui pris doucement une de ses mains pendantes, sans oser d'abord rien lui dire, car je ne trouvais rien qui exprimât toute ma compassion. Mais il me comprit, et, tournant vers moi ses beaux yeux intelligents, il me regarda et trouva la force de sourire à moitié pour me montrer sa reconnaissance. Ce sourire m'encouragea, et voyant qu'il avait l'uniforme, non de l'armée régulière ou mobilisée, mais d'un corps de volontaires, je lui dis d'abord combien je l'admirais pour son dévouement spontané et complet à la patrie. Puis, j'essayai de lui rappeler combien ce sacrifice si beau pour le Français devant les hommes, serait utile pour le chrétien devant Dieu, combien cet héroïsme, cher à la France, sa mère ici-bas, serait agréable au père qu'il avait dans le ciel. Je l'exhortai à se tourner vers ce Père, à le prier en pensée comme un fils affectueux et confiant, à vouloir bien accepter enfin les secours religieux qui l'aideraient à passer en paix d'une vie de souffrance à une vie de félicités. Il ne me répondait pas. Il ne semblait pas froissé par mes pa roles, mais les yeux perdus dans le vague, il paraissait distrait, préoccupé, attentif à un entretien intérieur. Bientôt son regard se porta de nouveau sur moi, étudia mon visage comme pour mieux me juger, et me demander une révélation sur mon caractère. Puis, quand il fut rassuré, le soldat me dit à voix lente et entre coupée par la douleur : (A suivre).