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Page:Le Sylphe - Poésies des poètes du Dauphiné, tome 1, 1887.djvu/211

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REVUE DES ÉCRIVAINS DAUPHINOIS l3 resté pur : non, nous n'avons pu résister à l'entraînement délicieux ; nous nous sommes tout donné l'un à l'autre. Nous nous appartenions par tout ce qui était notre âme et notre corps. Mais, avant de céder, nous avons tant combattu ! avant, pendant et après les chutes, nous avons tant souffert et tant pleuré !... Ce sont de douces larmes qui nous ont vaincus : nous nous sommes aimés par pitié et non par égarement... Et puis, son visage était si beau, sa voix était si profonde !... Oh ! c'est donc vrai, c'est donc vrai ! je ne la verrai plus, plus, plus ! Et de grosses larmes lui venaient dans les yeux. — Calmez-vous, mon pauvre enfant, lui dis-je. Je suis per suadé que votre amour n'avait rien de vulgaire ; mais il était criminel, vous le reconnaissez vous-même. Vous devez donc l'écarter de votre pensée, vous devez tâcher, en ce moment du moins, d'oublier cette femme assez malheu reuse pour violer le plus saint de ses devoirs. — L'oublier, oh ! jamais ! L'oublier, elle qui m'a donné tant de preuves de dévouement, qui pour me voir, ne fût-ce qu'une minute, a risqué plus de vingt fois sa vie, qui n'a voulu pécher que pour moi et avec moi ! L'oublier, elle ma sœur de périls et ma sœur de souffrances, l'oublier, c'est là que serait le vrai crime ! — Le vrai crime, mon pauvre et cher ami, est d'abord de persévérer dans l'esprit de péché ! car enfin, j'en appelle à votre âme elle-même ; d'où lui venaient ses souffrances sinon de ses fautes ? Votre amour, si profond et si enivrant qu'il fût, ne pouvait l'aveugler et l'égarer assez, pour qu'elle entrât dans la voie du mal sans douleur, comme les âmes grossières et sans remords, comme les âmes dépravées. — Oui ! c'est vrai ! malgré tout, nous nous sentions quelque fois amoindris. Parfois, nous avions honte, non de nos baisers — ils étaient trop sincères et trop infinis ! — mais des tromperies fréquentes, des mensonges quotidiens auxquels nous devions avoir recours. Nous aurions voulu nous relever à nos propres yeux ; nous sentions le besoin, afin d'effacer ce qu'il y avait en nous de laid, de nous sacrifier pour quelque belle cause. L'occasion du sacrifice s'est présentée. La France était battue ; elle appelait tous ses enfants à son secours : je me suis offert. — Vous vous êtes offert, et Dieu a accepté l'immolation. Pour cet héroïsme, il vous pardonnera le peché. Mais il faut le prier avec moi, et, regardant désormais vers lui seul, ne plus songer à la chère coupable. — Il faut au contraire songer à elle plus que jamais, car c'est moi qui meurs, mais c'est elle qui va souffrir. L'héroïque de nous deux, c'est elle. Quand je l'ai quittée, j'allais me battre pour mon pays : c'était encore un bonheur. Elle avait les