Aller au contenu

Page:Le Sylphe - Poésies des poètes du Dauphiné, tome 1, 1887.djvu/226

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

28 LE SYLPHE sous un rayon de bonheur ! Ces yeux, ces nobles yeux dont l'ex pression tendre et profonde m'avait tant frappé et m'avait dès l'abord révélé une flamme intérieure, une âme ardente et inas souvie, ces yeux passionnés mais célestes, j'a'urais désiré les voir s'humecter encore de larmes de joie ! A ce moment, le blessé demanda à boire. J'appelai une sœur qui vint avec un breuvage. Elle approcha doucement son verre des lèvres desséchées du mourant. Celui-ci but un peu, mais chose curieuse! ce n'était pas seulement sa bouche brûlante qui semblait se rafraîchir, c'était aussi son regard qui semblait se désaltérer. Il contemplait avec étonnement et avec satisfaction cette figure de religieuse qu'il avait devant lui, et qui était en effet aussi belle que virginale. J'avais remarqué moi-même plus d'une fois le pur et joli visage de cette humble fille de charite, et maintenant ce jeune homme qui avait tant aimé les attraits de la femme, était du pre mier coup charmé et comme apaisé par cette angélique physiono mie. Il avait eu durant sa vie un tel culte de la beauté, que même en face de la mort, il était encore séduit par elle. Mais cette sé duction, je le voyais bien, n'avait plus rien de troublant; elle était chaste et douce, elle était idéale et divine comme ce sourire de sainte qui la causait. Alors une idée me traversa l'esprit, et n'écoutant que ce désir de compassion qui me disait d'apporter une suprême joie à celui qui allait mourir, je dis assez haut à la religieuse pour que le blessé pût entendre : — Ma sœur, à ce soldat qui meurt pour la France et loin de la femme qu'il aime, donnez le baiser de la Française et de la femme! Elle ne fit aucune objection, elle ne parut même pas étonnée — les femmes ont de ces intuitions rapides qui pénètrent jusqu'au fond les mystères du cœur ; — mais se penchant vers le moribond, elle posa ses lèvres de vierge sur le front du héros. Celui-ci eut alors un sourire de joie et de gratitude que je n'oublierai de ma vie. Il avait soudain deviné toute mon intention ; il comprenait que ce baiser devait lui rappeler les baisers d'autrefois dans ce qu'ils avaient eu detendre, mais aussi de les purifier dans ce qu'ils avaient eu de coupable; il comprenait qu'ayant péché, mais aussi noblement souffert et lutté à cause de la femme, il obtenait de Dieu d'être à sa dernière heure accompagné et consolé par elle. Il expira bientôt après, et son âme parut s'en aller avec moins de melancolie, et son visage semblait empreint de plus de sérénité pour avoir été touché une dernière fois par un visage féminin; et de tous les souvenirs que m'a laissés mon pèlerinage douloureux à travers nos désastres, celui-ci est un des plus inoubliables et des plus doux. » — Et les lettres, lui dis-je, vous les avez brûlées ? —Non! — Vous les avez remises?...