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Page:Le Sylphe - Poésies des poètes du Dauphiné, tome 1, 1887.djvu/244

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46 LE SYLPHE Tout ce qui était charme, tout ce qui caressait la vue et la pensée, devient hideux, il y a comme un changement de décor sur la scène de la vie. Aurélio , pendant les deux jours qui suivirent la mort de Lucrézia, resta dans l'inaction la plus complète. Il passa de longues heures dans l'église San Carlo, assis dans un coin obscur, s'isolant du monde, et plongé constamment dans une rêverie douloureuse. La prière console, disent les âmes qui ont cette foi profonde que rien ne peut tarir; lui, Aurélio, ne pria pas; on pouvait croire ue, loin de chercher une consolation, il venait dans ce temple, édaignant de prier, s'abîmer plus encore dans son désespoir ! Cependant,, l'heure approchait, où Lucrézia allait être descen due dans la tombe. Aurélio, son violon sous le bras, découragé, abattu, le visage affreusement décomposé, se dirigea vers le cimetière. Le cortège venait d'y entrer. Se dissimulant parmi les tombeaux, les mausolées, les chapelles qui décorent le cimetière monumental, il attendit que la cérémo nie fut terminée. Un froid vif de Décembre glaçait ses membres, et la nuit venait rapidement sous le ciel gris. Quand tout bruit eut cessé et qu'il se sentit seul dans cet asile lugubre, il se dirigea vers le caveau où l'on venait de descendre Lucrézia. Doucement, craignant de troubler le repos de celle qui n'était plus, il vint s'asseoir sur le marbre blanc qui en fermait l'entrée. Alors, sur son instrument chéri, son compagnon, son consolateur des heures douloureuses, il commença la mélodie que Lucrézia avait demandé pour chant funèbre. C'était peut-être une folie que ce concert étrange au milieu des sépulcres et des morts, mais une folie poétique, remplie d'un sentiment touchant, et qui devait avoir un tragique épilogue! Les sons langoureux, mourants, s'élevant par intervalle comme une plainte déchirante disaient que Lucrézia ne tendrait plus sa main généreuse au pauvre Aurélio, qu'elle ne sourirait plus au petit joueur de violon, que sa bouche, désormais muette, ne lais serait plus échapper des paroles douces et compatissantes, que son cœur refroidi ne sentirait plus les sensations charmantes de lajeunesse!... La musique disait tout cela, et Aurélio, fiévreusement, faisait glisser l'archet léger sur les cordes mélodieuses ! Cependant, les notes devinrent moins vives, puis, ne furent bientôt qu'un murmure, et s'évanouirent tout à fait...