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Page:Le Sylphe - Poésies des poètes du Dauphiné, tome 1, 1887.djvu/243

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REVUE DES ÉCRIVAINS DAUPHINOIS 45 accents de sa musique les délires de son âme, des larmes brûlantes venaient voiler les yeux de Lucrézia... Aurélio s'arrêtait souvent, pris d'un attendrissement profond, comprenant vaguement que la pauvre enfant se voyait entraînée peu à peu vers la mort...

Un jour, il arriva; Lucrézia était plus pâle que de coutume, elle lui dit : — Je ne puis vous écouter longtemps, aujourd'hui, car je souffre ; mais je veux entendre cet air si doux que vous me jouez depuis deux soirs, rien que celui-là, et je serai heureuse ! Aurélio commença. Tout à coup, il vit que la jeune fille avait porté une main vers son cœur et qu'une émotion poignante venait de l'envahir. Il s'arrêta, bouleversé, la tristesse dans les yeux... — Oui, assez. . . murmura Lucrézia, il me semble que mon âme s'envole. . . Puis, se raidissant un peu : Voulez-vous me faire une promesse? — dit-elle à Aurélio, qui fit un signe de la tête. — Eh bien ! prornettez-moi de ne jouer cela qu'à moi seule, et la dernière fois sur ma tombe, car, vous le voyez, je vais mourir bientôt... Dites, le voulez-vous ? — Oui, murmura Aurélio sans savoir ce qu'il disait, le visage couvert d'une pâleur effrayante. — Cette mélodie si douce, dit Lucrézia, me rappelle un songe bien triste où le même air est venu frapper mon oreille... Je l'aime cette belle mélodie, elle me fait trouver moins sombres les jours qui me conduisent à une fin fatale... Adieu, Aurélio! tenez votre promesse, je vous bénirai dans le ciel ! A partir de ce jour, Aurélio ne vit plus Lucrézia qui gardait la chambre ; il venait jouer sous la fenêtre entr'ouverte, suivant le désir de la malade. Il était devenu bien triste depuis qu'il ne pouvait plus sourire à celle qui allait bientôt disparaître emportée . par une phtisie inexorable ! Ce moment arriva par une journée de Décembre, où le froid et le brouillard avaient remplacé la douce chaleur et l'azur du beau ciel d'Italie. Aurélio vit les fenêtres closes, et le deuil lugubre planer sur la demeure de son amie : Lucrézia était morte ! Il ne pleura pas, sa douleur se concentrait dans une idée fixe qui l'absorbait tout entier; il s'en alla, lentement, la tête penchée, insensible à ce qui l'entourait... Quand le cœur est atteint par une douleur sincère et que l'espoir, qui console par ses images riantes multipliées à l'infini, disparaît, la pensée n'a plus qu'un horizon limite où la tristesse s'élève, morne, torturant le regard par son aspect désolant et sa présence persistante.