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Page:Le Sylphe - Poésies des poètes du Dauphiné, tome 1, 1887.djvu/285

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REVUE DES ÉCRIVAINS DAUPHINOIS 87 foules, qu'il serait plus court de dire par où l'artiste et l'écrivain diffèrent entre eux, que d'énumérer tous les points qui les unis sent. Le sombre et l'énorme exerçaient sur les deux la même fascination: l'un et l'autre travaillaient à donner le vertige; tous deux poussaient au noir, à l'horrible, à l'improbable, au stupéfiant. Ecoutez « ce que dit la Bouche d'Ombre. » puis feuilletez YEnfer de Doré ; regardez les dessins qui illus trent Roland Furieux, en vous souvenant des légendes d'Evi- radnus, de Ratbert ou d'Aymerillot. Tous les spectres, tous les fantômes qui vous oppressent chez un auteur, se dressent chez l'autre. Tournez une page de l'artiste, tournez-en une du poète. Vous voici en plein azur ensoleillé, traversé par des grou pes de formes neigeuses, qu'on dirait des anges ; c'est que vous lisez le Sacre de la Femme, d'Hugo, ou que vous contemplez le ParaJis de Doré. Boursouflés tous deux, lorsqu'ils cherchent des effets trop titanesques, ils deviennent tous deux capables de la plus exquise finesse de crayon ou d'expression, lorsqu'ils évo quent des paysages célestes, des anges ou des fleurs, la jeunesse de l'année ou le printemps de la vie, et l'on se demande com ment la même main a signé soit les Feuilles d'Automne et Tor- quemada, soit les dessins de la chanson du vieux Marin et ceux du Paradis. « Hugo et Doré vont également d'un extrême à l'autre, sans point d'arrêt. Ils sont sublimes ou puérils. Peu soucieux d'une vérité absolue, rebelles à la contemplation prolongée d'un ca ractère ou d'une expression, ils ont échoué là où l'exactitude est de rigueur: c'est-à-dire, le premier dans le drame, et le second dans la peinture. L'exagération qu'ils mettaient en tout, les per dait, dès que l'un voulait aborder le théâtre, et l'autre la couleur. Aucun des deux n'a travaillé patiemment. A seize ans, Hugo faisait imprimer ses vers ; à seize ans, Doré dessinait dans les journaux illustrés. Ce n'est pas chez eux qu'il faut chercher un esprit fin, critique, délicat; non, comme beaucoup de génies, ils n'ont pas, à proprement parler, d'esprit. Pour tous deux, les termes moyens n'existent pas entre le tragique et le bouffon, le difforme et l'idéal, et ils tombent dans la caricature, dès qu'ils sortent de l'épopée. <r Grandeur qui dégénère parfois en gigantesque, dédain des règles communes et des voies battues, incapacité de modéra tion en quoi que ce soit, tels sont les caractéristiques du génie de Doré, que nous allons étudier aux prises avec le génie du Dante. » Jehan ÉCREVISSE.