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THÉÂTRE DE LA RÉVOLUTION

Mais il ne faudrait qu’une occasion pour faire éclater tout ce que vous avez accumulé de dépits, de rancunes, de petites jalousies, les uns contre les autres. Si vous n’étiez pas si occupés, vous verriez tout ce qui vous sépare. Mais l’ennemi nous bombarde ; et d’ailleurs, vous n’avez d’yeux en ce moment que pour moi. Vous ne me pardonnez pas d’être d’une autre race.

TEULIER, calme.

Tu te trompes, d’Oyron. Je ne fais pas de distinction entre la naissance d’un homme et celle d’un autre homme : je ne puis donc t’en vouloir de ton origine. C’est toi que je n’aime pas, et je te l’ai toujours dit en face. Je n’aime pas les aristocrates qui renient leur parti, sans avoir les vertus et l’âme d’un patriote.

D’OYRON.

Quels gages vous faut-il donc de mon civisme ? Ai-je jamais laissé échapper une occasion d’en donner des preuves ? Va le demander plutôt à l’armée des Princes.

TEULIER, avec une nuance de mépris.

C’est vrai : tu n’as jamais épargné tes anciens amis.

D’OYRON.

Est-ce que cela te choque, par hasard ?

TEULIER.

Peut-être. — Je les hais. Tous, nous avons des raisons pour les haïr. Mais toi, ce n’est pas ton rôle ; qui t’oblige à le prendre ? Tout à l’heure, personne ne te forçait à te charger de cette expédition… Au reste, je ne devrais plus m’étonner, depuis cette affreuse poursuite à travers les Ardennes. Spectacle lamentable ! Toute la vieille gloire de la patrie, — d’Harcourt, Vauban, Castries, — pourchassés dans les bois, traqués par les paysans, trahis par leurs alliés, fous de honte et de peur, fuyant devant nos troupes sous les torrents de pluie, vêtus de loques sordides, transis, rongés de fièvre, mourant de fatigue et de faim, laissant à chaque pas, dans la boue des fossés et les immondices san-