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construction et à l’entretien des ponts. Des vingt-quatre arches primitives qui se succédaient sur une longueur de 900 mètres, jusqu’au pied de la tour Philippe-le-Bel, il ne reste que les quatre premières, surmontées de la chapelle Saint-Nicolas. Le fleuve impétueux a détruit l’œuvre de Bénezet, et c’est maintenant sur un moderne pont suspendu qu’on traverse le Rhône pour gagner les hauteurs de Villeneuve.

Au temps des Papes d’Avignon, les cardinaux avaient fait de Villeneuve leur résidence préférée, élevant leurs palais d’été entre le mont Andaon, couronné par le Fort, et la tour Philippe-le-Bel, au débouché du pont Saint-Bénezet ; le Pape y eut également sa maison de campagne. On y trouve encore les anciennes « livrées cardinalices » de Pierre de Luxembourg, de Léonard Rossi de Giffone, de Pierre de Thury, de Raimond de Canillac. Ce dernier édifice a été transformé en couvent, puis en hôpital, dans la chapelle duquel on a placé le tombeau gothique d’Innocent VI, et où on a réuni en un petit musée de belles peintures, notamment le Couronnement de la Vierge, par Enguerrand Charonton. Dans l’église Notre-Dame, restaurée par les Monuments historiques, on a conservé nombre d’œuvres d’art, une Vierge en ivoire et une Vierge en pierre du xive siècle, les restes du tombeau d’Arnaud de Via, l’ancien siège abbatial de Saint-André et le maître-autel de la Chartreuse orné du magnifique bas-relief du Christ au tombeau. Le beau cloître des chanoines de Notre-Dame fait

CAVAILLON. BOULEVARD CARNOT (page 276).

suite à l’église. En longeant la grande rue, bordée d’anciens hôtels particuliers, on arrive à la Chartreuse du Val de Bénédiction fondée par Innocent VI, morcelée et vendue à la Révolution et où toute une population s’est installée. L’État a cependant racheté la porte de clôture, la fontaine Saint-Jean dont les huit arcades séparées par des pilastres supportent une coupole octogonale, la chapelle d’Innocent VI dont les fresques ont été conservées par miracle, et le petit cloître ogival du xive siècle, de proportions élégantes. Au sommet du mont Andaon, le fort Saint-André dresse la masse imposante de ses hautes murailles défendues par deux formidables tours jumelles couronnées de mâchicoulis, contemporaines de Philippe-le-Bel : la reconstruction des créneaux n’est pas d’un très heureux effet, elle dénote, a dit un critique, une crise de « crénelite aiguë ». Les moines de Saint-André ont édifié au xiie siècle, au débouché du pont Saint-Bénezet, la tour de Philippe-le-Bel, dont le carré prolongé par une tourelle de guet, s’élève encore au bord du fleuve sur un roc dénudé.

La visite de Villeneuve-lès-Avignon est donc un régal pour les archéologues, et même pour les profanes. Au retour le coup d’ail est féerique sur Avignon dont les remparts, la roque géante, la cathédrale et la forteresse pontificale sont incendiés par les feux du couchant. Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour revivre les grands jours de la papauté, et, par-delà le Rhône, il nous semble voir déboucher, au pied de la Tour Philippe-le-Bel, le cortège papal descendant de la Chartreuse au déclin des chauds après-midi d’été : « Le soir tombant, le pape rentrait joyeusement à la ville, suivi de tout son Chapitre ; et lorsqu’il passait sur le pont d’Avignon, au milieu des tambourins et des farandoles, sa mule, mise en train par la musique, prenait un petit amble sautillant, tandis que lui-même il marquait le pas de la danse avec sa barrette, ce qui scandalisait fort ses cardinaux, mais faisait dire à tout le peuple : Ah ! le bon prince ! ah ! le brave Pape ! »

Pétrarque habita longtemps Avignon où il connut la belle Laure de Noves. Il quitta la cité des Papes