Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 20.djvu/289

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pour se retirer à Vaucluse, venant « cacher un amour sans espoir dans cette retraite profonde », au bord de la Sorgue, au milieu des rochers qu’il appelait son « Parnasse Transalpin ». La Fontaine de Vaucluse est à quelques kilomètres de l’Isle-sur-Sorgue, petite ville très hollandaise où les rues sont des canaux, où l’on pêche de sa fenêtre, où l’on est bercé par le tic-tac des roues des moulins. La route passe sous l’aqueduc de Calas, traverse le village de Vaucluse et aboutit à un sentier bordé de chênes verts et de lentisques, dont les lacets conduisent au bassin naturel d’où jaillissent les eaux de la Sorgue. D’une vaste cuvette circulaire dont on ne peut déterminer la profondeur l’eau cristalline se précipite en cascade entre des blocs énormes que l’on croirait soulevés par une commotion volcanique ; le débit atteint parfois 150 mètres à la seconde, tandis qu’aux époques de sécheresse le niveau s’abaisse suffisamment pour permettre de descendre dans la vasque. Un cirque de rochers gigantesques, hauts de 800 pieds, surplombe la fontaine. De rares figuiers y plaquent quelques taches de verdure, et l’on aperçoit les ruines du château de Cabassol, asile de Pétrarque. Le grand poète serait aujourd’hui singulièrement troublé dans sa solitude par la foule bruyante qui envahit les guingettes, prend d’assaut les barques de promenade, organise des farandoles le long des sentiers, obstrue l’accès de la fontaine où chacun vient jeter une poignée de cailloux, tandis que les plus entreprenants escaladent les rochers pour y inscrire leurs noms en lettres rouges déshonorant le paysage.

Cette invasion gâte notre plaisir et précipite notre départ. De l’Isle-sur-Sorgue, nous descendons à Cavaillon, connu des touristes par les ruines peu importantes d’un arc de triomphe décapité et surtout par la cathédrale renfermant le tombeau de Mgr de Sade : un squelette consultant le livre de vie, et par la chapelle Saint-Jacques qui domine la ville et la campagne du Comtat. Sur les bords de la Durance, la vieille ville d’Orgon s’étage aux flancs d’une colline escarpée dont Notre-Dame de Beauregard occupe la cime ; de hautes murailles rocheuses surplombent la gare, formant un entonnoir dans lequel le mistral s’engouffre avec une telle violence que « quand ça bouffe » il n’est pas rare de voir les rames de wagons entraînées en dérive. Voici Noves, patrie de la belle Laure, bourgade encerclée de murs avec une église romane dont les sombres chapelles sont pleines de mystère ; puis Château-Renard dressant les « cornes » de son château fort, repaire féodal d’où partait, dit la légende, un souterrain de 10 kilomètres aboutissant à la forteresse des Papes.

Toute cette région est d’une grande fertilité. Dans la plaine d’Avignon, la culture des légumes et primeurs absorbe toutes les initiatives et transforme le pays en un immense jardin potager : champs de choux fleurs, de salades, d’aubergines, d’asperges, d’épinards, de radis, de haricots, de petits pois, de pommes de terre, de choux, de melons, de tomates. Un propriétaire nous a donné de bien curieux détails sur sa « forcerie » d’asperges dans laquelle une canalisation d’eau chaude permet de produire en plein hiver, à grands frais il est vrai, des sujets hors ligne ; on y récolte parfois des asperges du diamètre d’un verre à madère, et du poids de 250 grammes ; une botte de 3 kilos, qui peut ne comporter que 12 asperges, atteint à l’occasion les prix fabuleux de 70 et 75 francs. Les rois et les milliardaires sont les clients de la maison…


(À suivre.) L. et Ch. de Fouchier.


CAMPEMENT DE BOHÉMIENS SOUS LES REMPARTS D’AVIGNON.