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plus nobles du désert. Les Comanches se divisent en quatre branches considérables, les Cuchanticas, les Jupes, les Yamparicas et les Orientales. Ce sont les ennemis irréconciliables des Apaches : les uns et les autres font subir des tourments des plus cruels à leurs prisonniers, mais les incursions des Comanches dans l’État de Chihuahua sont moins fréquentes que celles des Apaches.

Au nombre de vingt-cinq à trente mille, répandus sur un espace immense depuis le golphe du Mexique jusqu’à Santa-Fé dans le Nouveau-Mexique, ils sont maîtres absolus des montagnes et des plaines. La rive gauche du Rio-Grande del Norte est le théâtre de leurs exploits : ils considèrent certaines lignes comme leurs frontières incontestables, s’y maintiennent avec opiniâtreté et en défendent les abords avec un courage remarquable. Ils ne tolèrent sur leur territoire ni les Indiens ni les blancs ; ils respectent les frontières voisines excepté quand ils ont une vengeance à exercer.

Ils n’ont pas recours à la ruse contre leurs ennemis : ils les attaquent face à face, pourvu qu’ils soient en force égale ; mais, malgré leur courage, ils semblent redouter les rencontres nocturnes : faut-il attribuer cette sorte de peur à leur croyance religieuse ? Je serais porté à le croire : j’ai trouvé des hiéroglyphes où figurait le croissant.

Si l’on veut voyager chez les Comanches, il faut prendre pour guide un ancien trappeur mexicain. Ces individus connaissent toutes les ruses des Indiens, et sauvages comme eux de mœurs et d’habitudes, ils trouvent le moyen d’éviter les embûches où l’on tomberait sans eux.

Le chef comanche qui commande une attaque est très-reconnaissable : il cherche à se donner un aspect féroce et orne sa tête d’une paire de cornes de bœuf. Il se trouve toujours le premier à l’attaque. Le Comanche manie habilement la lance et la flèche, et attaque avec une rapidité telle qu’il faut renoncer à l’arme à feu pour ne se battre qu’à l’arme blanche. Les lances et les flèches des Comanches sont plus courtes que celles des Apaches, mais ils portent une petite hache qui est entre leurs mains une arme terrible.

J’ai rencontré en voyage une petite caravane d’Américains, composée de sept hommes. Ils avaient pour guide un de ces rusés Mexicains ; ayant aperçu à distance une troupe de Comanches à cheval qui se préparait à une attaque vigoureuse, il conseilla à la caravane de mettre pied à terre, d’attendre de pied ferme les Peaux-Rouges, et recommanda surtout de ne tirer qu’à bout portant, en visant tous en bloc le chef comanche. À peine les voyageurs étaient-ils à terre que les Comanches se lancèrent vers eux, la lance d’une main, un bouclier en peau de l’autre. Selon l’instruction de leur guide, tous les Américains visèrent le chef qui était bien reconnaissable à sa grande paire de cornes. Ce chef tomba frappé de plusieurs balles et baigné dans son sang ; les Comanches se retirèrent aussitôt, mais en bon ordre, et la petite caravane fut sauvée.

C’est un des secrets des déserts de l’Amérique. Le Comanche cesse de combattre quand il a vu tomber son chef ; il s’avoue vaincu et laisse poursuivre leur route à ceux dont la chevelure devait lui servir de trophée ; mais il revient ensuite relever ses morts pour les transporter dans sa rancheria, où il leur rend les derniers honneurs.

Je reviens au grand chef Abasolo : il s’était rendu avec deux de ses chefs à Chihuahua pour obtenir du gouvernement la permission de dépasser la frontière de l’État, afin de poursuivre les Apaches qui leur avaient volé des chevaux : affront sanglant pour un sauvage, et dont ils voulaient tirer vengeance. Cette permission ne leur fut pas accordée. Le gouvernement se serait, à son tour, attiré la vengeance des ennemis qu’Abasolo voulait punir. Ils furent néanmoins très-bien reçus. Tous les moyens furent employés pour les distraire et leur inspirer envers les blancs une bienveillance à laquelle ils paraissent, du reste, assez généralement disposés. Lorsque plusieurs blancs vont visiter les Comanches dans leur camp ou rancheria, ils y sont bien reçus s’ils montrent de la confiance et s’ils déposent sans défiance leurs armes.

Ce grand chef, quoique d’un âge avancé, marchait encore d’un pas ferme ; son visage était ridé, la ruse brillait dans ses yeux. Il portait de longs cheveux noirs réunis en une longue tresse tombant jusqu’à ses talons et entrelacée de plaques rondes d’argent qui avaient au sommet quinze centimètres environ de diamètre et s’amoindrissaient de manière à n’avoir plus à l’extrémité que la grandeur d’une pièce de deux francs. Sur la poitrine, il portait une grande croix en argent à triple branche, semblable à une croix papale : au bout était un grand croissant.

Les deux chefs qui l’accompagnaient étaient plus grands et avaient un aspect beaucoup plus guerrier que le grand chef. Dès le premier jour de leur arrivée dans la ville, on leur avait donné comme guide un officier chargé de les conduire partout : on les menait dans les boutiques, on leur faisait cadeau d’une foule de choses insignifiantes : c’est dans une boutique que j’ai eu l’occasion de dessiner le chef ; mon croquis achevé, on le lui fit voir ; il fut saisi d’une inquiétude qu’il ne put dissimuler ; il me regarda avec une certaine crainte et se retira aussitôt de la boutique.

Cette rencontre fut heureuse pour moi, car le lendemain il quitta son costume et s’affubla du vêtement le plus grotesque. Il endossa un vieil habit d’uniforme dont on lui avait fait cadeau et suspendit sur sa poitrine une paire d’épaulettes de capitaine ; au milieu pendait sa grande croix d’argent.

On avait fait présent à ses deux compagnons de grandes étoffes d’un rouge écarlate : ils s’en servaient comme d’un manteau et savaient parfaitement s’en draper : aussi faisaient-ils un singulier contraste avec leur supérieur.

Le marché de Chihuahua ne manque pas d’animation ; mais les articles sont peu variés. Les pommes de terre sauvages recueillies par des Indiens Tarahumaras dans les montagnes et moins farineuses que les pommes de terre cultivées, le maïs avec lequel on fait la tortilla, le chilé, les fricoles, et les melons, surtout les melons