Page:Le Tour du monde - 04.djvu/164

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Je regrette de ne pouvoir donner une description plus exacte de cet échantillon précieux d’architecture américaine. Mon désir eût été d’en faire faire un dessin ; mais personne parmi nous n’était capable de reproduire correctement d’aussi grandes beautés, représentant la fantaisie mauresque encadrée dans les proportions majestueuses de l’art de la Renaissance. Si le peu que j’en dis invitait les artistes à le visiter, mon but serait atteint.

L’église, amas de pierres empâté dans du badigeon, faisait à côté de ces ruines si brillantes malgré les injures des siècles, une si piteuse mine, le ton criard de ces murs blanchis à la chaux vous éblouissait tellement la vue, que nous n’eûmes pas le courage de la visiter. En conséquence, on remonta à cheval, pour prendre le chemin de traverse qui mène directement à Amecameca.

Il faisait encore jour au moment de notre entrée à Amecameca. Mon premier soin, après avoir cherché un logement pour passer la nuit, fut de me présenter chez M. Pablo Perez, très-connu dans le pays par son expérience sur les choses du Popocatepetl. Je trouvai chez lui un accueil un peu froid d’abord, mais quand je lui eus dit l’objet de ma mission, il devint plus communicatif et voulut même m’aider, non-seulement de ses conseils, mais encore d’un appui plus efficace. L’un de ses frères, D. Saturnino Perez, jeune homme d’une grande intrépidité et familiarisé avec tout ce qui a rapport avec les montagnes, où son humeur un peu aventureuse et sa passion pour la chasse l’entraînent souvent, fut chargé de nous accompagner. En outre, on nous procura deux guides, Angel Bastillo et Francisco Aquilar, dont l’un devait prendre le commandement de la brigade de peons qui venait avec nous sur le volcan, tandis que l’autre resterait en bas pour garder l’équipage de la commission, et pour organiser les envois supplémentaires d’instruments ou de provisions dont nous pourrions avoir besoin. Ces deux hommes engagés, M. Perez eut l’obligeance de les envoyer de tous côtés recruter des peons rompus aux ascensions et capables de transporter, sans les exposer, les instruments dont M. Sountag pensait se servir, entre autres un instrument universel qui, avec ses accessoires, pesait près de quatre arrobes. Il nous fallait aussi une poulie, chose plus difficile à rencontrer. On en trouva une que nous eûmes beaucoup de peine à nous faire prêter. Tous ces préparatifs employèrent le reste de la soirée ; mais, grâce au concours actif de D. Pablo Perez, ils étaient aussi complets que possible, et j’eus assez de temps pour aller saluer M. Sayago, alcade d’Amecameca, qui voulut bien, à ma demande, engager M. Saturnino Perez à devenir le témoin officiel de l’exploration que nous allions tenter, afin qu’au retour, il puisse m’accorder l’attestation écrite dont je croyais avoir besoin. Une pareille précaution me semblait d’autant plus prudente, que, depuis quelque temps, diverses expéditions dont le résultat était douteux, avaient jeté du discrédit sur les ascensions du Popocatepetl. Les gens d’Amecameca, placés assez près pour savoir à quoi s’en tenir sur des prétentions plus que problématiques, faisaient des gorges chaudes à propos de plusieurs personnes qui s’en allaient de par le monde, racontant des impressions imaginaires. Voulant éviter à une commission envoyée aux frais du gouvernement jusqu’aux apparences du ridicule, je pris le parti de réclamer un témoin, et son témoignage donna lieu à un certificat que je transcrirai plus tard.


Du pied du mont à la limite des neiges.

Le lendemain, 20 janvier, dix-huit peons, deux guides et le personnel de la commission étaient rassemblés de bonne heure sur la place d’Amecameca. Je courus prendre congé de M. Pablo Perez, qui regrettait beaucoup de ne pas venir avec nous, mais qui était retenu chez lui par ses fonctions de juez conciliador et par le mauvais état de sa santé. Son frère, D. Saturnino était prêt, nous sortîmes de la ville, non pas la bannière déployée, mais avec l’agréable assurance que nous atteindrions notre but.

Nos peons étaient presque tous des ouvriers employés à l’extraction du soufre dans le cratère. En tête se distinguaient deux Indiens de pure race chichimèque, grands gaillards coulés dans le bronze, capables de marcher par monts et par vaux, jour et nuit, comme le Juif errant. C’étaient les frères Teyes, le sombre et grave Vicente, et Guadalupe, dont la bouche, toujours ouverte par un sourire, montrait deux rangées d’incisives dont la taille et l’éclat m’inspiraient quelque inquiétude. C’étaient d’anciens compagnons de D. Pablo Perez pendant un séjour de plusieurs mois au fond du volcan ; il avait su leur inspirer un dévouement aveugle et à toute épreuve ; c’est pour cela qu’il nous les avait donnés.

D. Saturnino voulant nous présenter à son frère, propriétaire de l’hacienda de Tomacoco, à travers laquelle nous devions passer, je fis prendre les devants au gros de la troupe.

Tomacoco est une petite hacienda située au milieu d’un des plus beaux paysages que je connaisse. D’un côté, la plaine d’Amecameca encadrée par des monticules boisés, de l’autre, le volcan et la sierra, dont les cimes blanches semblent sortir, par l’effet de la perspective, du milieu même d’une immense forêt de pins. Un ruisseau descend bruyamment de la montagne et sert à irriguer les terres de l’hacienda et à faire tourner une roue de moulin. Son propriétaire, S. D. José Maria Perez, vieillard âgé de soixante et onze ans, mais d’une vigueur et d’une activité rares à cet âge, nous reçut patriarcalement. J’aurai l’occasion de reparler ailleurs de cet excellent homme et de son domaine. Nous le quittâmes après nous être arrêtés chez lui deux heures environ, pour entrer dans la montagne qui commence presque à la porte de Tomacoco.

Nous suivîmes la route qui mène d’Amecameca à Puebla. Si cette route est pittoresque, elle est excessivement fatigante à cause des pentes rapides par lesquelles il faut absolument passer. Elle ne consiste guère qu’en