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de ces montagnes, une source de bien-être qui s’accroît par l’industrie qu’ils déploient dans l’entretien de leurs magueyales.

Cependant, la marche était de plus en plus difficile à travers cette forêt de lames aiguës comme des poignards ; les murs qui me barraient le chemin devenaient de plus en plus nombreux, et mon courageux petit cheval, impatienté par des obstacles toujours renaissants, ne pouvant plus, à cause de la pente, prendre l’élan nécessaire pour enjamber ces amas de pierres, je fus obligé de mettre pied à terre. Nous errâmes ainsi, l’un et l’autre, pendant une heure, montant toujours, rôtis par le soleil dont les rayons, réfractés par une terre rousse et empierrée, avaient une force double. À la fin, une éclaircie se montra et me guida vers une rampe qui conduisait sur le dos de la montagne, formant un plateau irrégulier. Du haut du plateau, j’aperçus le cratère d’Ayotla, qui me servit de mire et vers lequel je me dirigeai aussitôt.

Sur ce plateau onduleux, la nature avait pris un aspect bien différent. À droite, la vue se perdait dans des vallons formés par les flancs de la montagne. Des plantes odoriférantes et des pâturages fortement aromatiques en tapissaient la surface. À gauche, le grand lac de Texcoco ; derrière moi, les murs blancs et les rochers de Mexico : en face, le cône elliptique d’Ayotla. L’air tiède était imprégné de senteurs, et la lumière, rendue diffuse par les vapeurs et par l’ombre qui jaillit des vallons étroits et profonds, communiquait au paysage une douceur inaccoutumée.

Mais le soleil commençait à baisser. Les détours qu’il me fallait faire afin de remonter un torrent ou traverser un pli de terrain allongeaient considérablement la route. Le petit vallon d’Ayotla, que je croyais toucher, semblait s’éloigner à mesure que j’avançais. Craignant de m’égarer en m’engageant trop avant dans un labyrinthe de défilés, j’obliquai brusquement à gauche, et je rejoignis la route à l’endroit où elle touche le pied du volcan. Une demi-heure après, je trouvais mes compagnons arrêtés à San Isidro, un peu avant Ayotla, où nous arrivions à la tombée de la nuit. Mon intention était d’y coucher, car nos mules de charge étaient fatiguées. Malheureusement Ayotla donnait ce jour-là l’hospitalité à quelques centaines de soldats qui avaient envahi toute la ville et même l’hacienda d’Istapalucan, située à une lieue plus loin. Cette circonstance nous obligea de pousser jusqu’à Chalco, où nous entrions à neuf heures du soir.

Le lendemain étant un dimanche, nous célébrâmes le jour du Seigneur par un repos plein de béatitude. J’employai cette journée à parcourir toute la ville pour trouver quelques mules supplémentaires, car les nôtres, avec leurs charges, qui étaient excessives, n’auraient pu voyager par des chemins qui allaient être montueux. Après beaucoup de pourparlers et d’hésitation, un arriero, qui retournait à vide pour aller chercher de la glace, daigna, moyennant finances, nous prêter ses maigres bêtes de somme. Rassuré de ce côté, je pus rendre visite au sous préfet, ainsi qu’à son secrétaire, qui, pendant une excursion précédente, m’avaient témoigné beaucoup de bienveillance, et avaient su, en m’ouvrant leurs archives, faciliter mes recherches.

Le 19, de bonne heure, malgré le temps perdu à charger les mules, nous étions en route pour Amecameca. De Chalco à Tlalmanalco, la route vous promène à travers des champs de culture admirables. La terre, légèrement en pente, est arrosée par des cours d’eau fraîche et limpide. Cette eau peut se répartir avec facilité partout où il est nécessaire. Le sol paraît être un mélange d’alluvions anciennes un peu compactes et de sable provenant des localités supérieures ; devenu friable, il à toutes les qualités d’un terrain argilo-siliceux à sa surface, et peut se prêter aux cultures les plus variées. Mais le système d’administration des haciendas, ainsi que la demande des marchés, ne permettent pas une agriculture compliquée. On se borne à produire le maïs national et le froment, dont la venue et la vente sont assurées. Quant aux bestiaux, c’est un accessoire dont on ne se préoccupe guère. On les envoie se promener sur les chaumes, et, soir et matin, on leur fournit un petit supplément de cannes sèches de maïs. Aussi le bœuf mexicain est-il un modèle de sobriété ; élevé à la dure école du besoin, il se nourrit comme il peut, sans murmurer, se contente de travailler le moins possible, et se venge en laissant, pour héritage, une viande détestable.

À une lieue et demie de Chalco se présente une côte qui passe près de la belle manufacture de Miraflores. C’est une filature de coton appartenant à MM. Martinez del Rio. De grands capitaux, beaucoup de persévérance et d’intelligence ont été employés pour affermir cet établissement, qui occupe plusieurs centaines d’ouvriers indigènes, dont quelques-uns sont devenus très-habiles. Plus haut, ressemblant de loin à une ville fortifiée, se voit Tlalmanalco, avec son église moderne très-insignifiante, flanquée de ruines très-remarquable. Ces ruines sont les restes d’un couvent de franciscains, dont la construction commença peu de temps après la conquête. Pour des raisons que je n’ai pu découvrir, le monument ne s’éleva pas au-dessus des premières arcades, et on le laissa là. C’est un malheur pour l’art architectural, car on peut juger de ce qu’aurait été le monument par le peu qu’on en voit.

Qu’on s’imagine trois cintres d’une hauteur d’environ huit mètres, séparés l’un de l’autre par des pleins recouverts d’une infinité d’arabesques, de figurines et de feuillage en bosse. La pierre, d’une belle couleur rouge sombre, paraît avoir été moulée sur des creux faits à loisir et retouchés au ciseau, tant il y a de netteté dans les contours. On ne rencontre point de surcharge de mauvais goût. Les ornements sont distribués avec cette science particulière à la Renaissance, qui ne sacrifiait point les grandes lignes aux détails et qui, pourtant, donnait pour ainsi dire une valeur à chaque pierre. Les arceaux n’ont point cette forme écrasée et ces proportions disgracieuses que l’on remarque souvent dans les portiques des couvents au Mexique. Ils sont allongés et bordés de cordons saillants d’une ciselure élégante.