Page:Le Tour du monde - 04.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les du Sahara et ayant devant nous, sur la gauche, les oasis de Sidi-Okba et d’Oumach, dont les palmiers se dessinaient comme une ligne verte à l’horizon. Nous arrivâmes vers les deux heures de l’après-midi à un petit ruisseau qui donne l’existence à l’oasis d’Oumach et qui, pour cette raison, porte le nom de Saguiet-Oumach. L’eau en est saline et cependant notre guide ordonna une halte pour que l’on remplît les outres. Nous allions être réduits à boire de cette eau de Sedlitz pendant les jours suivants. Je n’ai jamais pu comprendre pourquoi nous n’avons pas rempli les outres à Biskra où l’eau est moins mauvaise. Je croyais alors, que ce que j’avais de mieux à faire était de m’en rapporter aux indigènes pour ce qui est des choses du voyage, mais je suis bien revenu de cette idée-là et je ne manque pas maintenant de présider à l’emplissage de mon outre, afin d’être bien sûr qu’il n’y entre pas autant de vase que d’eau.

En quittant le Saguiet-Oumach, nous nous dirigeâmes sur Methlily, petite oasis sur les bords de l’Oued-Djedi et quelques instants avant d’arriver à cet oued, nous laissâmes sur notre gauche la dernière ruine romane de ce côté-ci de l’Algérie. Nous allâmes camper à quelque distance de Melily où nous entendions la musique et les cris de joie des femmes, et nous terminâmes ainsi cette journée, la plus courte de toutes et celle que j’ai trouvée la plus fatigante.

Après cinq jours de marche dans un pays accidenté où l’eau ne se trouve qu’à de rares intervalles, nous arrivâmes enfin le 18 juin, à neuf heures du soir, sous les murs de Guerara.

Comme la lune n’était pas encore levée, il faisait fort obscur et la seule chose que nous pouvions distinguer outre la muraille devant laquelle nous nous étions arrêtés, était une troupe d’hommes vêtus comme le sont les travailleurs dans ce pays, et tous armés, soit d’une longue canardière, soit d’un tromblon massif, ces dernières armes ayant au moins deux siècles d’existence. On nous pria de ne pas faire de fantasia ; car, nous dit-on, le pays n’est pas tranquille et le bruit des coups de fusil pourrait donner l’alarme.

Voici de quoi il s’agissait. À Guérara, comme aussi, du reste, à Ghardaya, il y a deux caïds ; ces deux caïds sont ennemis, au point que quelques jours auparavant leurs partis en étaient venus aux mains, et deux hommes avaient été tués. La ville était en état de siége, comme on dirait en Europe, et le caïd qui me parut le plus puissant, celui qui me donna l’hospitalité, avait fait placer de fortes gardes à toutes les portes de la ville. Ces hommes avaient un air méfiant et sauvage. Il est facile de comprendre que l’arrivée d’un Français au milieu d’eux ne pouvait que leur être très-désagréable dans un moment critique comme celui où ils se trouvaient.

Lorsqu’on eut dressé ma tente, le caïd Yahia vint me rendre une visite, et bientôt après, l’autre caïd, son ennemi, vint aussi, de sorte que je réunis dans ma petite tente les deux ennemis irréconciliables. Il est presque inutile de dire qu’ils se comportèrent absolument comme s’il n’y avait jamais eu que de bons rapports entre eux, et qu’ils furent également aimables pour moi. On nous apporta une diffa de couscous, et pendant que nous prenions le café, après le dîner, je m’amusai à examiner quelques-uns des nombreux fusils qui formaient comme une haie à l’entrée de ma tente. Je fus obligé de mettre mes visiteurs au courant de la politique du jour. On était bien renseigné au ministère, lorsqu’on disait que la guerre d’Italie occupait beaucoup les esprits en Algérie.

Nous résolûmes de passer un jour à Guérara pour nous reposer un peu de nos fatigues, et après avoir visité sommairement la ville, et mesuré la profondeur d’un puits qui se trouve dans l’enceinte des murs (45 mèt.), j’allai m’établir dans une petite habitation d’été que le caïd Yahia a fait bâtir dans son jardin, et j’y passai la journée à fainéantiser et à songer aux lauriers que j’avais conquis : j’étais le premier Européen qui faisait le trajet de Zouréz à Guérara.

La ville est bâtie sur une colline et la couvre tout entière, depuis la base jusqu’au sommet. Son aspect est très-original ; les murailles, avec leurs bastions, créneaux et meurtrières, sont en bon état, et toutes les maisons brillent par un luxe étonnant d’arcades ; il y a même un côté de la grande place que j’ai cru devoir baptiser du nom de rue de Rivoli.

La nuit venue, je résolus de dormir dans le jardin, et je fis apporter ma carabine, que je plaçai à côté de moi sur mon matelas, en disant à ceux qui étaient présents que c’était ma femme. Cette plaisanterie guerrière parut plaire beaucoup à ces messieurs. Quelques instants après, je vis arriver le guide qui voulait me tenir compagnie, et je remarquai que de son propre mouvement, il s’était armé de son long tromblon. La nuit se passa très-bien ; nous n’eûmes d’autres ennemis que des nuées de moustiques.

Le 21 juin, nous quittâmes Guérara. Nous gagnâmes l’Oued-en-Nesa, dont le lit est couvert d’une puissante végétation ; les jujubiers sauvages, souvent accompagnés de térébinthes, y forment des oasis de verdure qui reposent agréablement la vue ; de hauts genêts et des plantes aromatiques ressemblant à l’anis, tapissent le reste du sol.

En sortant de l’oued, nous vîmes un troupeau d’autruches sur une colline dans le lointain ; je leur tirai un coup de carabine, mais je m’étais bien trompé sur la distance qui nous séparait d’elles ; la balle ne les fit pas même bouger. Elles avaient leurs petits.

Le lendemain, en quittant notre gîte, les chameliers tuèrent une vipère cornue, que l’on m’apporta remuant encore, mais tellement abîmée, que je ne pus rien en faire. Nous traversions un pays très-inégal et accidenté, d’une aridité extraordinaire. Enfin, après une descente qui me fit souvenir un peu du fameux chapeau de la vallée de Chamounix, nous entrâmes dans l’Oued-Mezab, et tout à coup nous vîmes, resserrées en quelques lieues carrées (deux ou trois au plus), les cinq villes de Bounoura, El-’Ateuf, Beni-Izguen, Melika et Ghardaya, avec leurs belles plantations de palmiers et leurs jardins…