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En Orient, le progrès est lent, mais il n’est pas impossible.

À Téhéran, j’avais fait la connaissance d’un des principaux chefs du Séistan, le sardar Aly-Khan, qui se proposait de retourner bientôt dans sa patrie, et nous nous étions donné rendez-vous à Méched, où il arriva deux ou trois semaines après moi. Il logeait dans le quartier saint, et en allant le voir, j’ai eu l’occasion de passer par le grand cimetière de la ville. Le nom seul de ce vaste champ de morts, Katlgàh « lieu de massacre » produit une impression lugubre, mais son aspect est bien autrement saisissant. Jamais je n’ai vu une aussi grande réunion de tombeaux. La place de chaque mort y est marquée par un long parallélépipède en pisé. Cette suite de monuments uniformes, d’un gris jaunâtre, s’étend à perte de vue ; le calme et le silence règnent dans cette triste enceinte où le bruit des rues populeuses qui l’entourent vient mourir comme par enchantement. Les seuls sons que l’on y entend sont le frôlement des robes des femmes entièrement voilées, glissant comme des ombres dans les étroits sentiers qui séparent les dernières demeures de leurs parents, et celui des voix sourdes des mollahs, assis par terre, et récitant les versets du Koran, pour le salut de l’âme des trépassés. Je me hâtai de traverser ce lieu « d’éternelle douleur, » et j’arrivai bientôt chez mon sardar du Séistan. Je le trouvai couché au milieu d’un petit salon ; il était entouré de nombreux domestiques, tous coiffés de turbans d’où s’échappaient de chaque côté de la tête d’abondantes boucles de cheveux. Le pauvre sardar était encore très-faible ; à Sebzevar, il avait été pris d’une attaque de cholérine, et c’était à peine s’il avait pu se traîner jusqu’à Méched, où on s’était empressé de le porter près du tombeau de l’iman Ali-Riza. La seule vue de ce sanctuaire avait suffi pour lui restituer une partie de ses forces, mais il aurait aussi bien fait de mourir à Méched, car trois mois après il fut assassiné dans son propre palais.

Mosquée de Khodja-Rebi, au nord de Méched. — Dessin de A. de Bar d’après une photographie de l’album de M. de Khanikof.

Ali-Khan était le second fils de Mir-Khan, chef de la tribu des Serbendis, transféré par Nadir-Chah de Chiraz dans le Séistan. Son frère aîné, Mohammed-Riza-Khan, mourut au commencement du règne de Mohammed-Chah, et transmit son pouvoir à son fils, Lutf-Aly-Khan, contrairement à l’usage du pays qui exigeait que lef= commandement passât à Aly-Khan. Le sardar se rendit à Téhéran où il tâcha d’intéresser à son sort le premier ministre du chah, Hadj-Mirza-Aghassi. Mais cet excentrique mollah ne rêvait en ce moment que réformes à introduire dans l’artillerie persane ; les querelles des petits chefs séistaniens lui étaient profondément indifférentes, et il se fit absolument rien en faveur d’Ali-Khan, qui se décida à aller chercher l’appui du chef de Kandahar, Kohendil-Khan, frère de Dost--