Page:Le Tour du monde - 04.djvu/378

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notre tête. Assis sous ma tonnelle je me couvre de mon parapluie ; si cet état dure longtemps, mes effets seront perdus.

Six heures. — La nuit approche ; le temps se calme. Tout à l’heure un grand vautour est venu se poser sur un de ces troncs d’arbres brisés au milieu desquels nous avons trouvé un abri. Mon fusil n’a pas parti : l’humidité avait produit son effet. Il n’est pas prudent de quitter le lieu où nous sommes : on s’arrange pour y passer la nuit.

Le beau temps est revenu tout à fait ; la voile est raccommodée tant bien que mal ; le vent est bon… Vamos !

Vers midi la chaleur était bien forte ; la tourmente avait recommencé à nous ballotter ; mes deux singes qui, pendant la tempête de la veille, n’avaient cessé de crier, recommençaient de plus belle ; mais cette fois cela n’eut pas de suite, ce n’était qu’une légère réminiscence. La journée fut bonne et la nuit aussi. On avait poussé au large et nous avions descendu, nous laissant entraîner par le courant.

J’avais essayé de dormir, étendu sur ma natte, à l’abri de ma tonnelle ; mais la chaleur ne m’avait pas permis de rester ainsi : il m’avait fallu mettre mes pieds à la place où je mettais ma tête dans la journée. De cette façon, j’avais un peu d’air à la figure ; seulement j’avais la tête un peu plus bas que les pieds, mais du moins je n’étouffais pas.

Plusieurs journées se passèrent sans événement. Nous désirions arriver près d’une de ces plages de sable sur lesquelles on peut descendre, et ce fut une grande joie quand nous vîmes au loin une ligne blanche trancher sur le fond obscur des forêts vierges. Avant ce moment une descente à terre nous était interdite : les rivages, à découvert par l’abaissement des eaux, formaient d’immenses degrés, résultat des différentes couches de détritus que le fleuve avaient déposées en se retirant. Si on se fût hasardé sur ces marches de terre détrempée, on eût disparu à l’instant même, enfoui à une grande profondeur, sans qu’aucun secours humain vous fût venu en aide ; car, pour vous retirer de ce gouffre, il eût fallu un point d’appui.

Sur les bords du rio Negro.

Les pagaies firent leur office vigoureusement, et nous abordâmes. Les Indiens s’empressèrent de tirer le canot à terre. Polycarpe prit son fusil, le garde son shako, et moi tout mon attirail de chasse. Tout l’équipage avait sauté dans l’eau, qui était tiède, et chacun s’en alla, selon ses goûts, chercher fortune sur l’étendue de terrain qu’il était possible de parcourir.

Je ne m’occupai donc de personne, et je partis chasser à l’aventure, forcé de revenir bien souvent sur mes pas ; car, de toute part, je rencontrais des endroits mous et profonds, et comme je ne me souciais pas d’être enterré tout vif, je choisissais mon chemin. Cette fois ma chasse fut heureuse ; mais arrêté par des bois impénétrables, je revins près du canot. Polycarpe s’était dégourdi ; la gourmandise avait produit plus d’effet que mes paroles. Il avait trouvé un grand nombre d’œufs d’une espèce de tortue que les Indiens nomment tracajá. Les œufs de cette tortue, contrairement à ceux des grosses que je