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avaient voulu faire disparaître et avaient enfouis jusqu’à ce jour.

Deux cents Tiaris furent installés aux premières tranchées. Leur profondeur, la dureté du sol, et le soin avec lequel il fallait dégager les parties retrouvées, exigeaient beaucoup de temps. Six mois y furent employés. Mais si l’on songe que cette seconde période des fouilles commença en mai, que, durant plus de trois mois, le thermomètre marqua quarante-six degrés à l’ombre, et que pendant tout ce temps le vent meurtrier du désert, le Sam, venait nous asphyxier, on s’étonnera sans doute de la persévérance et de l’énergique volonté qui maintinrent les ouvriers dans les tranchées, malgré la maladie d’un grand nombre atteint des fièvres, et la mort de quelques-uns que le Sam foudroya.

Après une demi-année de ce labeur opiniâtre et consciencieux, nous avions mis au soleil les restes d’un vaste palais ; — il était loin d’être entier. — Si les vestiges éloignés les uns des autres, que nous pûmes reconnaître, nous permirent une appréciation exacte de son étendue, malheureusement nous n’en retrouvâmes qu’une portion formant un ensemble à peu près complet. D’après les points extrêmes reconnus, il est possible d’en évaluer les dimensions, qui devaient être de trois cents mètres en longueur sur cent cinquante mètres en largeur. Qu’est devenu tout ce qui manque ? C’est ce qu’il est impossible de dire. Étions-nous en face d’un édifice inachevé ? Ce n’est pas à croire, d’après le fini des parties que le sol a conservées. Il est bien plus probable que, comme Babylone et le Khouïoundjouk devant Mossoul, ces ruines ont encore été une carrière exploitée au profit d’habitations du temps postérieur à l’existence du palais dont elles occupent la place. C’est d’ailleurs ce qu’il a été facile de constater, tant par la disparition des matériaux évidemment liés et ceux restés en place, que par une certaine quantité de pierres travaillées et préparées pour une autre destination et sur lesquelles se voyaient les traces d’un ciseau qui s’était efforcé de faire disparaître les sculptures antiques. — Ainsi va le monde. — De même que le froment retourne à la terre sous forme d’engrais, les ruines des palais et des plus beaux édifices de l’antiquité servent de matériaux à de plus humbles constructions des temps modernes.

Quoi qu’il en soit, il y avait dans les résultats dus aux coups de pioche de nos Tiaris de quoi satisfaire amplement l’archéologue le plus avide. La nuit de vingt-cinq siècles au moins qui avait enseveli dans son obscurité toutes ces splendeurs du passé, fit place à un beau soleil qui vint d’un seul coup éclairer tout cet ensemble de grandeurs, de gloires, auxquelles l’art avait prêté l’habileté d’un ciseau consommé. Neuf salles intactes, avec leurs quatre murs debout, six salles en partie ruinées, un grand nombre de façades, de portes, présentaient toutes leurs faces ornées de sculptures, accompagnées d’inscriptions, montrant et racontant les faits et gestes héroïques des princes successeurs de Ninus qui réunirent sous leur sceptre toute cette partie de l’Asie.


Sculptures. — Détails.

De tout cet ensemble de découvertes, ce qui offrait le plus d’intérêt, c’étaient évidemment les sculptures. Tous les murs, sans exception, intérieurs ou extérieurs, étaient décorés de tableaux taillés dans la pierre, avec une admirable fécondité de ciseau. Bois et vizirs, prêtres et idoles, eunuques ou guerriers, combats et fêtes joyeuses, tout y était représenté. La vie des Ninivites, présidée par leurs princes, venait miraculeusement se dérouler là, depuis les symboles religieux jusqu’aux usages domestiques, depuis l’orgie du triomphe jusqu’aux supplices des vaincus.

Deux genres de sculptures tapissaient les murs de ce palais, qui étaient construits en briques crues ou séchées au soleil, enduites de bitume et recouvertes de grandes plaques d’une pierre gypseuse qui avaient trois mètres de hauteur sur deux à trois mètres de largeur. Dans plusieurs salles, ces plaques étaient divisées en deux zones de 1m.20 de haut, sur lesquelles était un nombre considérable de figures ayant une hauteur d’un mètre. Ces deux zones étaient séparées par une bande d’inscriptions en caractères cunéiformes, allant d’un bord à l’autre de la pierre. Dans d’autres salles et sur les façades extérieures, les pierres de revêtement portaient des figures plus grandes qui les couvraient de haut en bas, et dont le relief, proportionné à leur taille, avait une saillie de quelques centimètres. Ces murs représentaient des rois, des guerriers, des eunuques ou des prêtres et des divinités dont les formes et les attributs bizarres ne peuvent s’expliquer que par les idées symboliques que l’idolâtrie assyrienne y attachait. Tous ces personnages humains ou fabuleux formaient des processions sans fin qui devaient, au temps de Ninive, faire complétementt le tour de ce palais. De distance en distance, elles étaient interrompues par des portes, dont les principales étaient flanquées de gigantesques taureaux ailés à tête humaine. Ces morceaux de sculpture qui sont, sans contredit, les plus étonnants spécimens de l’art ninivite, avaient jusqu’à cinq et six mètres de hauteur. Exécutés en ronde bosse, ils offraient une saillie d’un mètre. Le nombre de ces minotaures assyriens devait être très-grand, car, malgré la disparition d’une partie considérable des restes de ce palais, nous en trouvâmes encore une vingtaine.

L’aspect de ces façades, sur lesquelles ils présentaient leur fier poitrail surmonté d’une large et noble tête coiffée d’une tiare, devait évidemment avoir une grande majesté ; et il était impossible de se défendre, même en face de la bizarrerie de ces représentations, d’une profonde admiration pour la grandeur et la conception de ces monuments empreints d’une pompe qui avait à la fois quelque chose de sauvage et d’élevé.

À l’intérieur et sur les murs des salles, se voyaient deux genres de bas-reliefs. Les grands étaient, à quelques variantes près, des répétitions de ceux des façades, et les seuls sujets nouveaux qu’ils représentaient étaient des génuflexions de captifs enchaînés et suppliants devant le grand roi qui, méconnaissant le plus beau privilége de