Page:Le Tour du monde - 11.djvu/141

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œil fut distrait par le poli et la courbe régulière de ce tronc, et, le toisant machinalement, je le vis se terminer à quelques pieds plus loin et à vingt pouces du sol par une tête plate et deux yeux de diamant noir. Mon sarment était un gros serpent de la plus belle venue, qui avait l’air de me demander, comme son voisin le corbeau : « Que viens-tu faire ici ? » Nous n’eûmes guère le temps de nous admirer l’un l’autre, car sur un mouvement que je fis, l’animal pervers fila dans les herbes et moi parmi les rochers.

Un autre jour j’étais grimpé sur l’Aïtaber, pour prendre le coup d’œil des superbes ravins d’où sort l’Ainsaba, et des flancs boisés de la rora ou vit fièrement isolée la tribu de Beit Andou. En descendant un sentier à chèvres, je dérangeai un beau jeune léopard qui prenait le soleil, en bon propriétaire de la montagne ; et, bien que je ne fusse armé que de ma boussole et de mon crayon, il prit peur et décampa en deux ou trois bonds jusqu’à une cavité de rochers entassés où il disparut tout entier, oubliant, dans son émoi, que sa queue montrait hors du trou cinq ou six anneaux noirs et lustrés. Je ne fus pas tenté d’aller la lui tirer ; comme la cachette était au bord même du chemin, je fis un détour respectueux d’un bon mètre de rayon. Nous devions faire l’un et l’autre, comme on dit familièrement, une drôle de tête.

Jeune fille de l’Hamazène. — Dessin de Émile Bayard d’après un croquis de M. G. Lejean.

Mes gens, à ce qu’il paraît, ne regardaient pas ces promenades du même œil que moi, en fait de sécurité. Quand le kavas Ahmed voulut, selon l’usage, envoyer les servantes quérir le bois et l’eau, Mlles Lemlèm et Desta, que j’ai portraiturées plus haut (voy. p. 100), jetèrent les hauts cris et déclarèrent qu’elles n’iraient pas