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du scalpel, des tenailles ou de la scie tout en chantant un gai couplet de vaudeville.

Les sujets qu’il dépouillait, préparait, corsetait, avec l’aisance et la prestesse que donne une longue habitude, lui étaient fournis par des néophytes que le prieur envoyait, armés de sarbacanes, battre les bois du matin au soir, pour la plus grande gloire de la zoologie. Le saint homme n’épargnait rien pour être agréable à ses hôtes et satisfaire leurs désirs. La Mission tout entière, était aux ordres du comte de la Blanche-Épine. Vieillards, adultes et enfants s’ébranlaient à un de ses signes comme l’olympe antique à un clin d’œil de Jupiter. Il n’était pas jusqu’aux matrones et aux fillettes qui ne fissent preuve de zèle en battant buissons, et broussailles pour y surprendre un crapeau rare ou un colimaçon curieux. Heureuse la beauté que le hasard favorisait dans ses recherches ! elle en était récompensée par un sourire protecteur que notre compatriote laissait tomber sur elle en la débarrassent du produit de sa chasse.

Comme à la longue, cette récompense tout honorable qu’elle fût, eût pu sembler insuffisante aux pourvoyeuses, le prieur pour entretenir leur émulation les gratifiait chaque matin de rassades de porcelaine et de rasades d’eau de-vie, prélevées sur l’épargne de la communauté.

Grâce à cette distribution de petits cadeaux, nos chasseresses déployaient une activité extraordinaire et prenaient pour les conserver à la science, jusqu’aux libellules et aux moucherons de Sarayacu.

Thuriféraire de Sarayacu.

Un jour vint où le chef de la Commission française jugeant ses caissons suffisamment remplis d’échantillons d’histoire naturelle, annonça qu’il allait quitter la Mission pour continuer son voyage. La nouvelle de ce départ fut accueillie par les religieux comme un événement néfaste. Après avoir exhalé des plaintes touchantes et fait de vains efforts pour retenir leur hôte, ils n’eurent plus qu’à s’occuper d’assurer ses aises futures. Pendant que l’un choisissait des rameurs et surveillait l’équipement d’une pirogue, l’autre réunissait des provisions de choix, auxquelles le prieur ajoutait des fruits, des cordiaux, des douceurs locales, destinés à rappeler plus tard au comte de la Blanche-Épine les cœurs dévoués qu’il laissait derrière lui. Ces prévenances des bons moines, cette inquiète sollicitude pour les besoins du noble voyageur, s’exercèrent surtout pendant la dernière journée que celui-ci passa à la Mission. Jamais père adoré se séparant des siens, ne fut entouré, dorloté, choyé avec plus de tendresse. On eût dit qu’en perdant leur hôte, les dignes Franciscains perdaient le soleil qui les éclairait et faisait mûrir leurs récoltes.

À dix heures du soir, l’aide naturaliste, trompant la vigilance de son patron, entra sans bruit dans ma cellule et me fit ses adieux. Après m’avoir serré les mains avec effusion et débarrassé de quelques dessins que je ne pus cacher à temps, il me demanda si je comptais rester longtemps à Sarayacu. « Le temps d’étudier la Flore du pays, » lui répondis-je. — Puis j’ajoutai mentalement : et de vous laisser, ton patron et toi, prendre sur moi assez d’avance pour que je ne vous rencontre plus en chemin. — Là-dessus nous nous sourîmes une dernière fois de l’air le plus gracieux et nous nous séparâmes pour ne plus nous revoir.

Le lendemain j’assistai de la fenêtre de ma cellule au départ des deux voyageurs. À mon grand étonnement, aucune manifestation bruyante ne signala leur sortie du couvent. La cloche resta muette dans le clocher, nul chant pieux ne les accueillit au passage, nulle détonation n’ébranla l’air en leur honneur. Le chef de la Commission française, dépouillé de son auréole et de son habit noir, avait repris le pantalon étroit et la petite veste qu’il portait aux débuts du voyage. L’aide naturaliste le précédait vêtu d’un sarrau bleu. Comme au jour de l’arrivée du noble personnage, le prieur de Sarayacu marchait encore à son côté, mais sans enthousiasme et sans parasol et de ce pas délibéré qui semble annoncer, chez celui qui l’adopte, l’envie d’en finir au plutôt avec une fastidieuse corvée. En effet, cinq minutes après, le vieillard était de retour et causait d’un air animé avec ses religieux en leur montrant le port que les voyageurs venaient d’abandonner.

Le sans-façon de ce départ qui contrastait si fort avec