Page:Le Tour du monde - 11.djvu/217

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d’obéissance qu’il avait faits en le prenant. Son séjour ou plutôt son exil volontaire à Tierra Blanca, n’était que la conséquence logique de ses idées. Il avait préféré, disait-il en riant, être tête de mouche que queue de lion, commander à Tierra Blanca, qu’obéir à Sarayacu.

Ce prétendu libéralisme, bien plus répandu qu’on ne pense et que le P. Antonio ne prenait pas la peine de celer, épouvantait un peu les familiers et les commensaux du couvent. Dans la crainte de voir suspecter leur orthodoxie et de perdre du même coup les bonnes grâces du prieur, peu tendre comme on sait, aux idées libérales, ils évitaient en dehors du service tout rapprochement avec Fray Antonio qui les eût infailliblement compromis.

La réserve dont on usait envers celui-ci, loin de l’affliger, l’égayait au contraire et exerçait sa verve railleuse. Il y avait du Savonarole et du Rabelais dans cette nature de moine florentin, fougueuse jusqu’à l’emportement, enthousiaste et caustique, hautaine et accessible, qui dénonçait à haute voix tous les abus, mettait impitoyablement le doigt sur toutes les plaies et concluait souvent par un éclat de rire et un geste d’épaules. Pour un homme qui, comme moi, était venu chercher la vérité de loin, Fray Antonio était plus qu’une individualité vigoureuse et tranchée, c’était une trouvaille, une manière d’homme-registre que je n’avais qu’à consulter à l’article missions, pour apprendre aussitôt ce que je désirais savoir.

Le bain du prieur.

Cependant les travaux que j’avais entrepris touchaient à leur fin ; ma revue de la Mission était terminée, mes cartons bourrés de croquis et mon herbier de la Flore locale, composé de seize cents plantes, pouvait permettre à nos savants d’Europe de constater à quelles espèces végétales la déesse avait emprunté les fleurs de sa couronne. À mesure que s’emplissaient mes caisses et mes caissons, un vague ennui, une indéfinissable nostalgie s’emparaient de moi. L’espace m’attirait invinciblement. Comme M. Michelet dans sa préface de l’Oiseau, j’eusse crié volontiers : des ailes, des ailes ! tant croissait chaque soir et s’augmentait chaque matin mon envie de prendre un essor.

Ce n’est pas que l’idée de passer en trois mois de l’ouest à l’est de cette Amérique, ainsi que j’avais parié de le faire en quittant Islay, me poursuivît encore et causât l’anxiété maladive que j’éprouvais. Non ; j’étais même assez tranquille à cet égard. Le délai fixé par moi-même à cette traversée continentale était expiré depuis quatre mois, et le capitaine anglais, mon heureux rival, servi par le retard que m’imposaient les circonstances, avait dû atteindre sans se presser, le but que je m’étais flatté de toucher avant lui. Par amour--