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Fabrication d’un tapis à Sarayacu.


VOYAGE DE L’OCÉAN PACIFIQUE À L’OCÉAN ATLANTIQUE,

À TRAVERS L’AMÉRIQUE DU SUD,


PAR M. PAUL MARCOY[1].
1848-1860. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.




PÉROU.




NEUVIÈME ÉTAPE.

DE SARAYACU À TIERRA BLANCA (suite).


Un portrait en miniature. — Départ de la mission de Sarayacu. — Sacrifice de singes fait à l’Ucayali. — Le canal Yapaya. — Un village et ses habitants représentés par deux chemises. — Le phare de Tierra Blanca.

Grâce au nombre des couturières, plutôt qu’à l’agilité de leurs doigts, le tapis fut bientôt assemblé ; il mesurait dix mètres de long sur huit de large. Je le fis porter dans l’église où j’avais résolu d’établir mon atelier ; puis quand on l’eut posé à plat sur le sol, je le fis tendre au moyen de cordes et de piquets. Toute la journée fut consacrée à ces préliminaires, auxquels j’employai les deux sexes de la Mission.

Pendant qu’hommes et femmes s’agitaient devant moi, il me vint une idée extralumineuse ; c’était d’affecter à la décoration picturale de ce tapis les veuves qui venaient de le coudre, et de m’éviter de la sorte une besogne fastidieuse. Ces femmes, me dis-je, ont le talent, comme celles des Conibos, d’orner de fleurs, de grecques, d’entre-lacs leurs jarres, leurs plats, leurs assiettes ; rien ne les empêche de faire en grand ce que d’habitude elles font en petit, et de décorer un tapis au lieu d’un pot à soupe. J’allai communiquer mon idée au prieur, qui l’approuva sans restriction et enjoignit à mes rapins femelles de m’obéir aveuglément en toutes choses, sous peine de lier connaissance avec martin-chicote. C’est par ce nom qu’on désigne à Sarayacu le nerf de lamantin qui sert à punir les méfaits du beau sexe.

Je donnai vingt-quatre heures à mes aides pour se procurer des couleurs et des pinceaux, et cela en quantité suffisante pour que le travail une fois entrepris n’eût à souffrir d’aucun retard. À l’expiration du délai, elles arrivèrent à la file, portant chacune une terrine et une poignée de petits balais. Ces terrines étaient les pots à couleurs. Il y avait du bleu, du jaune, du rouge-brun, du vert, du violet, du blanc et du noir[2]. Les petits

  1. Suite. — Voy. t. VI, p. 81, 97, 241, 257, 273 ; t. VII, p. 225, 241, 257, 273, 289 ; t. VIII, p. 97, 113, 129 ; t. IX, p. 129, 145, 161, 177, 193, 209, t. X, p. 129, 145, 161, 177, t. XI, p. 161 et la note 2, 177 193 et 209.
  2. J’ai dit, dans ma revue des Conibos, à quelles écorces et à quelles plantes, leurs femmes empruntaient les couleurs dont elles