Page:Le Tour du monde - 11.djvu/253

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et de Pavarotnaia, et nous arrivons au point du jour en face de la petite ville de Selenguinsk, située de l’autre côté de la rivière Selenga. La rivière est fort large en cet endroit, et comme il n’y a pas de ponts en Sibérie, on en est réduit à la traverser sur un bac à rames qui sert à tous les voyageurs parcourant la grande route de Kiakhta à Irkoustk. Le passage est dangereux ; il faut faire descendre aux voitures des berges à pic pour prendre place sur le bac, et M. d’Ozeroff, qui dirige notre route, fait requérir une foule de paysans pour retenir avec des cordages les roues de nos lourdes tarentas. Dès que nous sommes installés à bord, nos bateliers remontent le courant à force de rames, gagnent le milieu des eaux, puis se laissent descendre à la dérive sur l’autre bord, en se dirigeant seulement avec le gouvernail.

Une famille de Mongols Khalkhas. — Dessin de Émile Bayard d’après un croquis d’un artiste sibérien.

« Selenguinsk, qui compte environ trois mille habitants, est un bourg insignifiant. Nous nous y reposons jusqu’à midi. À dater d’aujourd’hui, nous voyagerons à la russe, ne nous arrêtant plus chaque nuit pour camper, prenant seulement le temps nécessaire pour changer de chevaux, déjeuner et dîner, et couchant dans nos voitures qui sont installées pour cela. Ce mode de transport, favorisé par la manière admirable dont le service des postes est organisé dans tout l’empire russe, permet de franchir rapidement des distances considérables, mais il est bien fatigant. Les stations de poste, distantes de vingt à trente verstes, sont déterminées par l’officier qui nous accompagne, et choisies par l’inspecteur de police en raison des ressources qu’elles présentent. Toute cette vallée de la Selenga est peuplée et passablement cultivée ; sur les coteaux des champs de seigle, dans les vallées de belles prairies où paissent de nombreux troupeaux et où serpentent de petites rivières, forment le fond du paysage avec les landes couvertes de genets et d’ajoncs épineux, mais les antiques forêts qui couvraient ce sol vierge ont presque entièrement disparu.

« Le 20, nous nous détournons de la grande route pour aller nous reposer à Verjnéoudinsk, ville de huit mille habitants, bâtie sur les bords de la Selenga. Nous y sommes logés dans une des plus belles maisons de la ville, dont on a renvoyé les propriétaires pour nous livrer leurs appartements ; cela se fait sans façon ici par corvée ou par réquisition ! Il est vrai que les indigènes regardent comme un grand honneur de loger chez eux des personnages influents, et qu’on ne peut faire un plus grand plaisir à un Russe que de l’envoyer coucher avec sa famille dans les communs. La maison de Verjnéoudinsk appartient à un tout jeune homme instruit et bien élevé, pauvre colon polonais, exilé dans ces climats lointains pour avoir trop aimé sa patrie ; ici il a été épousé par la veuve d’un des plus riches marchands de la ville.