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la principale mosquée de Zaghouan. À chacune de ces colonnes correspondait un pilier à demi engagé dans l’épaisseur du mur. Le toit était formé de douze petites coupoles dont une partie subsiste toujours, bien que, depuis l’enlèvement des colonnes qui les soutenaient, elles manquent de ce côté de tout appui.

« Ces deux galeries réunies composaient donc un ensemble de vingt-quatre arcades supportées par vingt-six colonnes, qui faisaient face à autant de pilastres. De deux en deux arcades, une niche, pratiquée dans le mur continu de ce fer à cheval, renfermait une statue. Il y avait ainsi en avant et de chaque côté du sanctuaire que j’ai décrit, six statues soit de nymphes, soit d’autres divinités, en tout douze, groupées autour de la divinité principale, qui occupait le fond de la cella.

« Entre ces deux galeries et le sanctuaire auquel elles aboutissaient, s’étend, dans l’espace intermédiaire laissé libre, une grande area longue de vingt-huit mètres et large de vingt-six mètres soixante centimètres. Cette area ou terrasse découverte domine de deux mètres au moins un beau bassin construit en pierres de taille et affectant la forme de deux fers à cheval réunis. À droite et à gauche de ce bassin, un escalier de douze marches, aujourd’hui très-dégradé, permettait de monter sur la plate forme de l’area et de pénétrer sur les galeries latérales, qui avaient, en outre, deux autres communications avec le dehors au moyen de deux petites portes rectangulaires ménagées, à leur extrémité, dans le mur d’enceinte.

«  On descend par plusieurs degrés dans le bassin précédent. Un canal souterrain, qui traverse l’area et qui part peut-être du sanctuaire, amène encore à ce réservoir, par quatre ouvertures, les eaux d’une source intarissable. De là, par un conduit, elles s’écoulent dans les jardins environnants, en attendant qu’elles recommencent à alimenter, comme autrefois, l’aqueduc de Carthage.

« Des diverses constructions que je viens de décrire, résulte un monument complexe et harmonieux, de forme théâtrale, et dont l’élégance et l’originalité sont, en outre, singulièrement relevées par le site qu’il occupe, site à la fois sauvage et gracieux, sublime et ravissant. D’un côté, en effet, se dresse derrière le temple la masse gigantesque du Zaghouan avec ses flancs escarpés, ses ravins profonds et le majestueux chaos de ses blocs énormes de rochers entassés confusément les uns sur les autres. Du côté opposé, au contraire, et au bas de la plate-forme de l’area, le regard se repose avec délices sur la riante végétation et sur l’éternelle verdure des jardins voisins. Qu’on ajoute à cela le silence de la solitude, ce je ne sais quoi de sacré que le temps imprime aux ruines, le mystère même qui plane sur l’origine et l’histoire de ce temple dédié à des divinités restées inconnues, et l’on aura quelque idée de l’effet qu’il produit sur celui qui le contemple pour la première fois.

« Tout ce que l’on peut dire au sujet de la date approximative de cet édifice, c’est qu’elle est la même probablement que celle de l’aqueduc, dont il contenait et consacrait la source. Or, d’après l’opinion généralement admise, cet aqueduc, l’un des travaux les plus grandioses que les Romains aient exécutés en Afrique, avait été entrepris sous Adrien et terminé sous Septime sévère.

« Malheureusement les renseignements manquent pour déterminer avec certitude ce fait important sur lequel l’histoire a gardé le silence. Nous savons seulement qu’à l’époque d’Adrien, l’Afrique eut à souffrir cruellement, pendant cinq ans consécutifs, d’une sécheresse affreuse, et que cet empereur, pour consoler cette province, vint lui-même à Carthage. Son arrivée, par une heureuse coïncidence, ramena la pluie et l’abondance, et, avec elle, les bénédictions du peuple. Comme le biographe d’Adrien, Spartianus, nous apprend que ce prince fit construire sur toute la surface de l’empire un grand nombre d’aqueducs, on suppose que, pour prévenir le retour de la disette effroyable que Carthage avait subie par suite de cette sécheresse, Adrien résolut de doter à toujours cette ville des eaux lointaines du Zaghouan et des eaux plus lointaines encore du Djougar. On suppose aussi, d’après des médailles frappées à Carthage en l’honneur et à l’effigie de Septime Sévère, et dont le revers présente Astarté, le génie des Carthaginois, assise sur un lion et courant le long d’une source qui découle d’un rocher, que la gloire d’avoir achevé cette œuvre gigantesque est due à ce dernier empereur[1]. »

Le paysage qui environne les ruines du temple est ravissant. Le caroubier, le laurier-rose, les bananiers, les figuiers abondent ; leur solitude n’est troublée que par le léger murmure de l’eau ; derrière le temple s’élève majestueusement le mont gigantesque dont le village et le temple ont conservé le nom[2].

Nous passâmes quatre jours dans ce délicieux pays. Pendant que mon ami Dubois explorait le sol, je terminais mes dessins ; nos amis chassaient, et souvent, le soir en rentrant, nous surprenaient agréablement en nous rapportant d’excellent gibier. La perdrix et le hérisson, dont la chair est très-délicate, figuraient souvent parmi les plats rustiques que notre Vatel arabe nous servait. Les Bédouins font grand cas du hérisson ; aussi les rencontrions-nous souvent guettant l’animal le long des ruisseaux, armés d’une petite hachette en fer mal battu ; le hérisson se tient ordinairement dans les endroits humides.

Quatre jours après il fallut poursuivre notre excursion beaucoup plus loin ; on nous donna un guide intelligent : il ne nous eût pas été possible de trouver, sans lui, notre route.


Un récit dans le désert.

À deux heures du matin toute la caravane était sur pied ; nous allions passer de cet agréable séjour au milieu du désert, de ses lignes horizontales et de ses sables mouvants ; nous allions recommencer nos campements.

  1. Voy. Guérin, Voyage en Tunisie.
  2. Le mont Zaghouan est probablement le mont Zengitanus de l’antiquité. Les chrétiens l’ont appelé Ziquensis, et les Arabes Kelbez-Zocol (le chien du détroit).