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Il y avait déjà cinq heures que nous marchions ; le terrain devenait accidenté ; notre guide, comprenant que nous avions besoin de repos, nous fit obliquer à gauche.

Tout à coup le tableau change d’aspect comme par enchantement ; nous sommes au milieu d’un douar où, moyennant quelques poignées de poudre et de plomb, nous sommes on ne peut mieux accueillis. Notre déjeuner est vite préparé ; les enfants viennent toucher nos armes, surpris de leur éblouissement. Nous offrons quelques cigares aux cheiks, et nus voilà les meilleurs amis du monde.

Un pâtre était en train de raconter l’histoire d’une aventure toute récente ; le douar écoutait ébahi, et de temps en temps, comme les enfants qui entendent le conte de Barbe-Bleue ou du Petit-Poucet, jetait des regards inquiets à droite et à gauche. Notre drogman demanda au cheik principal s’il nous était permis de prendre place parmi les auditeurs. Un sourire et un salut furent le signe que nous pouvions satisfaire notre curiosité.

Il s’agissait d’un lion énorme qui, pendant la nuit, s’était précipité dans le douar, avait enlevé une vache, et était allé en faire son souper à une demi-lieue de là. Le berger, qui narrait ces choses avec autant de solennité que s’il eût récité un chant de l’Iliade ou de l’Odyssée, assura avoir vu lui-même les os le lendemain.

Carrefour, à Tunis. — Dessin de A. de Bar d’après une aquarelle de M. Amable Crapelet.

Je fis observer qu’il n’était pas possible qu’à lui seul le lion eût pu digérer la vache entière, et que tout au moins sa nombreuse famille avait de être invitée à ce repas si champêtre.

Sans l’intelligence d’Assan, mon guide, qui arrangea mon observation à sa manière, je ne sais si je ne me serais pas attiré quelque méchante affaire. Je plaisantais, et le Bédouin ne plaisante pas.

Je fis remercier nos hôtes, et après leur avoir distribué quelques piastres pour leurs santons, nous reprîmes notre course.

En témoignage de joie, les hommes du douar tirèrent en l’air plusieurs coups de fusil.


Une aventure.

L’histoire du lion n’était pas très-rassurante : il n’est pas rare, dit-on, dans ces parages, et aussi son amie la panthère. J’eus soin de vérifier si mes deux revolvers étaient en règle, je chargeai ma carabine et je recommandai la même précaution à toute la petite caravane. Cette manœuvre dura une vingtaine de minutes ; ensuite nous continuâmes notre route : le guide en avant, mon drogman à mes côtés, mes amis au milieu de l’escorte ; nous plaisantions sur l’emphase du berger bédouin.