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trois banques, six feuilles publiques, une société d’acclimatation, une société d’agriculture, plusieurs hôpitaux et établissements de bienfaisance.

D’Auckland, deux voies principales se dirigent l’une vers le nord, et l’autre vers le sud : la Great south road, déjà praticable sur une longueur de trente milles jusqu’à Mangatawhiri sur le Waikato : et la Great north road, qui doit conduire par terre jusqu’à la baie des îles. Une troisième route macadamisée se dirige à travers l’isthme, à la petite ville d’Onchunga située à une distance de six milles sur les bords du port Manukau.

Onchunga était dans l’origine une colonie d’officiers et de fonctionnaires retraités, qui recevaient du gouvernement une petite habitation et une acre de terrain. Elle s’est déjà élevée au rang de ville ; servant de principale place de commerce aux indigènes, elle gagne de plus en plus en importance, et grâce à son heureux site ainsi qu’à la beauté de ses environs, elle est devenue le séjour favori d’un grand nombre de négociants qui ont à Auckland le siége de leurs affaires, et demeurent à Onchunga ou dans le voisinage. Le long de la route, entre les deux villes, on aperçoit un grand nombre de fermes et de métairies. Le sol n’appartient pas cependant aux fermiers seuls, il y a aussi des fonctionnaires, des marchands, des officiers qui placent leurs économies en achats de terrain. De jolies maisons de campagne, avec de charmants jardins, sont répandues sur l’isthme, tandis qu’aux carrefours des routes se trouvent des localités telles que New-Market, Mount Sant-John village, Epsom, Panmure, et plus loin, Otahulu et Howik. Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’avec le temps les terrains soient devenus fort chers à Auckland.

Nous comprenons la joie qu’éprouve l’habitant de nos villes peuplées à l’excès quand, fatigué d’une fumée, d’une poussière et d’un tumulte éternels, il se voit en pleine campagne, sous le beau ciel de Dieu. Lorsqu’il a pu dérober aux affaires quelques jours, sa poitrine, longtemps comprimée dans l’étroite étude, respire alors à pleins poumons, et il parcourt la campagne seul, ou en famille, avec d’autant plus de bonheur que bientôt l’hiver revient avec son manteau de glace et de neige, et le retient prisonnier pendant de longs mois. Mais à Auckland, où l’on peut dire que la ville elle-même est dans la campagne, où la douceur du climat, sauf quelques jours de pluie, ne prive jamais l’heureux habitant de jouir d’un beau jardin attenant à sa maison, et où, libre des entraves de nos hautes et tristes murailles, l’air pur et plein de lumière pénètre dans chaque rue, quand on entend parler d’un goût passionné pour la vie de campagne, il est difficile de ne pas sourire.

Depuis longtemps je me proposais, avec Julius Haast, un compatriote fixé dans le pays[1], de visiter sur la côte nord du port de Waitemata, ou, comme on dit, le North-Shore, un cône volcanique, ainsi qu’un lac remarquable situé dans un ancien cratère, et dont on nous avait beaucoup parlé. Mais un de nos amis qui désirait nous accompagner, nous pria de retarder cette excursion. Comme c’était un cicerone distingué et un agréable compagnon, nous attendîmes deux jours de plus. Nous n’en fûmes pas moins étonnés quand il nous apprit que sa femme et son fils nous accompagneraient pour jouir avec nous du plaisir de la campagne. Dans ce but, il prit avec lui deux tentes pour camper en plein air et mieux savourer le bonheur d’un séjour au milieu des champs. Nous trouvâmes plaisant d’entendre parler ainsi un homme, dont nous avions souvent admiré l’habitation comme l’idéal d’une maison de campagne.

Que l’on se figure, sur l’une des nombreuses petites baies qui découpent la côte près d’Auckland, une jolie résidence tapissée de fleurs de la passion, de chèvrefeuille et de bignonias. En avant de la maison, une verandah couverte de magnifiques fuchsias, dont les ravissantes clochettes étalent leur pourpre sur le toit et les murailles ; tout autour un grand jardin, à l’extrémité duquel se joue la mer d’un bleu profond. Des bateaux et des voiles de toutes sortes animent la surface des eaux, dont une partie appartient au port de Waitemata, si riche en baies pittoresques. De ce côté on aperçoit la côte nord et ses petits cônes volcaniques que domine le cône régulier du Rangitoto, avec ses pointes perçant l’azur du ciel ; c’est, en un mot, un paysage d’un tel attrait, que jamais nous ne pouvions nous lasser de l’admirer. Voilà le cadre de la demeure poétique de notre ami, et le beau jardin qui en dépend est le type le plus parfait des jardins de la Nouvelle-Zélande ; c’est un coin de terre sur lequel on doit se sentir heureux de vivre. La propriété est enclose de haies hautes de six à huit pieds, formées de roses de tous les mois, de fuchsias, de géraniums dont les feuilles et les fleurs forment un riche tissu aux couleurs variées. Le climat humide de la Nouvelle-Zélande conservera cette plantureuse végétation, même au cœur de l’été, toute sa fraîcheur. Et dans le jardin, quelle diversité d’arbres, d’arbustes et de plantes ! Toutes les productions de la zone tempérée réussissent ici, et près d’elles on voit une foule de végétaux dont l’aspect rappelle des contrées qu’échauffe un soleil plus ardent. Le chêne allemand aux branches noueuses s’élève à côté de l’élégant pin de Norfolk (araucaria) ; le gommier bleu d’Australie (eucalyptus), à côté du saule pleureur et de l’acacia. Au milieu de groupes d’orangers et de citronniers, on distingue le

  1. Un singulier jeu de la destinée l’avait amené sur les côtes de la Nouvelle-Zélande avec un navire d’émigrants, le jour même précisément où arrivait la Novara. Il voulait étudier le pays et ses habitants principalement dans le but de savoir à quel point la Nouvelle-Zélande serait propre à une immigration allemande. Nous ne tardâmes pas à nous rencontrer et à nous lier d’une étroite amitié. Il embrassa mes projets et mes espérances avec une ardeur juvénile. Son attachement à toute épreuve et sa bonne humeur inaltérable ne me manquèrent jamais, et son concours ne cessa de m’être des plus utiles jusqu’au moment où je partis de Nelson. Il est resté dans le pays, et à la suite de ses explorations entreprises avec une persévérance admirable dans les montagnes du sud, il a été nommé géologue du gouvernement dans la province de Canterbury.