Page:Le Tour du monde - 11.djvu/279

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bananier de l’Inde, le palmier-dattier de l’Afrique du Nord, le bois-trompette avec ses grandes fleurs, le grenadier, le myrte et le figuier. Des jasmins, des bignonias et des roses, des héliotropes, des coronilles, des camélias couvrent les plates-bandes d’un gracieux manteau de fleurs et de verdure, tandis que, sur le vert gazon, l’agave de l’Amérique du sud étend ses orgueilleuses fleurs au milieu d’un vigoureux feuillage. On s’égare avec délices parmi ces merveilles de couleurs, d’ombres et de parfums. Mais, pour notre ami comme pour tous ses concitoyens, tout cela n’était pas la campagne, et, montant dans un canot conduit par deux Maoris, nous nous rendîmes à la côte nord, qui est à une heure de distance.

Nous débarquâmes sur une rive basse, parsemée de coquillages, et les Maoris eurent bientôt dressé les deux tentes sous lesquelles nous nous établîmes comme chez nous. La plus grande, destinée à notre hôte et à sa famille, servait en même temps de salle à manger commune ; la seconde nous était réservée pour y passer la nuit. Les tentes étaient si près du rivage, qu’au moment du flux les vagues arrivaient presque jusqu’à elles. C’était une journée sereine, dont un vent du sud-ouest adoucissait agréablement la chaleur.

La localité sur laquelle nous nous trouvions, promet sans doute d’être un lieu de plaisance pour les habitants d’Auckland, mais jusqu’à présent elle n’a guère l’aspect d’une résidence d’été fashionable. Cependant, comme je l’appris, le gouverneur lui-même ne dédaigne pas de passer ici chaque année, avec sa famille, quelques semaines pendant le cœur de l’été, et, comme nous, il campe sous une tente. En dehors des petites huttes de bois de quelques colons et de la maison du pilote, il n’y avait aucun abri sur le North-Shore. Mais aux yeux de beaucoup d’habitants d’Auckland, c’est une diversion agréable que d’échanger, pendant un court espace de temps, le confortable d’une maison pour la vie simple et rude de la tente.

En suivant la côte, nous arrivâmes à un échafaudage long d’environ trente pieds. Nos nerfs olfactifs nous en firent connaître, à une distance considérable, la destination. Une longue file de requins et de poissons de diverses sortes était suspendue à cette construction pour sécher, à l’aide du vent qui les agitait dans tous les sens, promettant ainsi pour l’hiver, aux indigènes, des mets délicats et d’un « haut goût. » Des porcs et des chiens s’agitaient à l’entour, et à peu de distance se trouvaient quelques huttes maories.

Les vieillards, assis devant la porte, nous adressèrent leur amical Tenakoe (te voilà), tandis que, demi-nus, les enfants aux yeux noirs regardaient avec étonnement et ne paraissaient pas comprendre ce que voulaient ces deux hommes, un marteau à la main. Les cultures voisines des huttes se composaient de pommes de terre, de choux et autres légumes. Entretenues avec assez de soin, elles étaient entourées d’un mur de quatre pieds formé de grands blocs de lave superposés, et sur lequel de jolies plantes grimpantes entrelaçaient leur épais et frais feuillage.

Après avoir examiné le cratère de Takapuna, qui était le but de notre excursion, nous vîmes, en retournant à nos tentes, un feu clair qui brûlait derrière une hutte construite en blocs de lave. Une bouilloire à thé était suspendue au-dessus des flammes, et nos maoris étaient occupés à ramasser des huîtres qui se trouvaient en abondance sur les rocs du rivage. Dans la tente, en ménagère attentive, la femme de notre ami avait préparé un excellent dîner auquel nous apportions le meilleur appétit. C’est en vain cependant que je m’attendais à y trouver aussi des huîtres ; comme j’ai un faible tout particulier pour ces mollusques, je me dirigeai vers les indigènes pour voir de quoi il s’agissait. Je les trouvai frappant avec une pierre sur les huîtres qu’ils avaient fait griller et dont ils savouraient ensuite le contenu. Trois grandes pierres, chargées des plus belles huîtres, étaient encore sur les charbons ; les indigènes, me les indiquant du doigt, me dirent : Kapai (très-bon), et ils les poussèrent devant moi quand les coquillages eurent subi le degré de cuisson convenable. Naturellement, je ne me fis pas beaucoup prier ; les huîtres ainsi rôties sur des charbons ne sont pas en effet un mets à dédaigner. Les écailles se laissaient facilement détacher, et les chairs, cuites dans leur jus, avaient un goût excellent. Quand j’eus débarrassé de la manière la plus consciencieuse la pierre qui me servait d’assiette, je dis à mon tour kapai, et j’allai retrouver la pâtisserie de notre aimable hôtesse qui ne put réprimer un malin sourire en apprenant mes pérégrinations gastronomiques.

Quand la table fut enlevée, nous nous mîmes en route pour gravir la colline du Pavillon ou mont Victoria. C’est le point le plus élevé du North-Shore. Dans les temps primitifs, le sommet du mont portait un pah de guerre, et des fortifications de ce pah s’échelonnent sur la pente des terrasses de dix à quinze pieds ; sur le côté nord de la colline, se trouve un fossé de vingt pieds de large et d’une égale profondeur. La cime forme un plateau et présente un cratère demi-circulaire ouvert au sud-est, et sur lequel des courants de lave, formant une zone pierreuse, ont coulé jusqu’à la mer. La vue dont on jouit du sommet est vraiment ravissante : on aperçoit tout le port de Waitemata, et au loin le golfe Hauraki avec ses îles et ses caps, et la mer animée par des voiles de toutes formes et de toutes tailles. Derrière la montagne est paisiblement assis un grand village maori appartenant à une tribu qui a émigré de la baie des Îles, et qui depuis des années paye volontairement à l’État une livre sterling par arpent pour tirer du sol fertile le maïs, le froment, les pommes de terre et les légumes destinés au marché voisin d’Auckland. Grâce à leur activité, ces braves gens sont arrivés a un certain bien-être. Sur le rivage on voyait leurs embarcations, parmi lesquelles plusieurs canots de guerre décorés à l’avant et à l’arrière de riches sculptures ; il s’y trouvait aussi plusieurs bateaux baleiniers.