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Poroa, qui était chargé du rôle de Kaituki (chef des rameurs), commença à chanter strophe sur strophe, d’abord lentement, puis de plus en plus rapidement, et le battement des rames s’accéléra avec le chant.

Rangiriri est la localité principale du bassin inférieur du Waikato, dont elle forme le point central. Nous y trouvâmes le pah, qui est entouré d’une rangée de palissades, complétement abandonné ; dans les huttes il n’y avait pas une âme. Les habitants s’étaient dispersés pour aller passer l’été dans de petits établissements des environs, où ils possèdent des champs ; ils ne se réunissent que le dimanche à l’église. Aussitôt après les récoltes, ils reviennent dans le pah, et s’y tiennent pendant l’hiver. Nous aperçûmes l’église à une faible distance derrière le pah ; je ne fus pas médiocrement surpris à la vue de ce temple spacieux, d’une construction élégante, et proprement tenu, dans lequel, chaque dimanche, une communauté maorie se rassemble, et où un naturel fait les prédications. À quelques centaines de pas plus loin, s’élève la colline de Rangiriri, d’où l’on a une vue magnifique sur le bas Waikato.

J’avais entendu parler à Auckland d’une mine de charbon de terre d’une grande importance, peu éloignée de la chaîne du Taupiri. Nous y arrivâmes le 11 mars, et je trouvai bientôt un guide qui nous conduisit au gîte houiller. Il est aussi favorablement situé pour l’exploitation qu’on peut le désirer ; il y a là un dépôt de matières combustibles qui sera d’une grande utilité lorsque des établissements européens couvriront les rives du bas Waikato et que des vapeurs sillonneront le fleuve.

Le révérend Ashwell, qui dirige la mission du Taupiri, a utilisé déjà, depuis un certain nombre d’années, cette mine de charbon pour ses besoins domestiques, et il y a trouvé de la résine fossile en abondance. Des pentes à pic et des gorges profondément déchirées caractérisent cette contrée montagneuse des deux côtés du fleuve. La chaîne de montagnes s’élève en forme de terrasses depuis le bas Waikato jusqu’à une hauteur d’environ mille pieds au-dessus du niveau de la mer et elle tombe à pic au sud vers le bassin central du Waikato. Nous eûmes bientôt remonté le courant jusqu’au Taupiri, et nous débarquâmes près du siége de la mission. Le bâtiment est situé sur la rive gauche au pied des montagnes ; le terrain est un sol fertile d’alluvion ; un épais rideau d’arbres forme le fond du paysage. Avec quel plaisir nous retrouvâmes, pour la première fois depuis que nous avions quitté Mangatawiri, une maison européenne, et combien nous sentîmes le charme du site et du magnifique paysage qui paraissait prendre à nos yeux des dimensions grandioses !

Nous avions atteint la première station principale de notre voyage, à environ quatre-vingts milles anglais d’Auckland. Le révérend Ashwell était absent ; mais mistress Ashwell nous offrit très-cordialement l’hospitalité dans sa demeure, et j’acceptai avec beaucoup de reconnaissance.

13 mars. Le dimanche est observé par les Européens et les indigènes de la Nouvelle-Zélande avec une rigidité puritaine plus grande encore qu’en Angleterre. Le dimanche est ra tapou, c’est-à-dire que c’est un jour saint, durant lequel on ne peut pas voyager, ni même se promener, et une infraction à cette règle de la part d’un gentleman aurait une gravité double en raison du mauvais exemple qu’il donnerait ainsi aux indigènes. Pour ma part, je me soumis de bien bon cœur à cette stricte loi du dimanche, car un jour de repos dans la semaine, quand on voyage à pied, est chose bien nécessaire. Je ne trouvai cette observance rigoureuse que quand, contraint par le manque de vivres, il m’arriva plus tard, par une belle matinée de dimanche, de faire quelques milles de plus pour atteindre un village maori, où j’espérais trouver des ravitaillements. Mais arrivé là, je dus, en expiation, demeurer à jeun jusqu’au lundi matin.

Cette fois, à part le jeûne, le repos du dimanche me fut non-seulement agréable, mais la belle fête du jour dans l’établissement de la mission me laissa l’impression la plus douce et la plus édifiante.

L’école comptait quatre-vingt-quatorze élèves, trente-six filles et quarante-huit garçons d’âges différents ; le temple est un joli modèle d’église maorie ; les murs sont formés de différentes sortes de roseaux, tressés avec art ; l’encadrement des portes et le fronton sont ornés de peintures. À onze heures commença le service divin ; les élèves arrivaient à l’église, deux par deux, en une longue file, tous propres et parés. Après eux venaient un grand nombre d’hommes et de femmes des villages et des établissements voisins. La cérémonie se composa de cantiques chantés en chœur, de prières et d’une prédication faite par un indigène avec beaucoup de feu et des gestes très-animés.

J’étais logé près de l’église dans l’école du dimanche, et je ne fus pas peu étonné des connaissances géographiques des enfants maoris. Sur une carte muette, appliquée au mur, ils savaient très-bien m’indiquer le cours du Danube et la situation de Vienne, et répondre avec beaucoup de justesse à mes questions sur les volcans d’Europe. À deux heures, le dîner fut servi dans le réfectoire. Le repas du dimanche se compose de viande de porc et de pommes de terre. Enfin à quatre heures, les prières anglaises furent dites dans la salle de l’école ; puis on me montra différents ouvrages des jeunes Maoris, auxquelles on apprend ici plusieurs travaux utiles, tandis que les garçons sont exercés à l’agriculture et à divers métiers. Je remarquai surtout les paillassons et les tapis en lin zélandais de plusieurs couleurs. Les enfants demeurent habituellement dans l’établissement de la mission jusqu’à ce qu’ils soient devenus grands. Quand bien même le résultat de l’éducation ne serait pas toujours tel qu’on pourrait le désirer, on ne peut avoir que de l’estime et de l’admiration pour le dévouement de ce missionnaire et de sa famille, dont tous les membres prennent une part égale à la civilisation d’un peuple barbare encore il y a quelques dizaines d’années.