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Le 14 mars nous nous remîmes en route, et sur les rives fertiles du Waikato au-dessus du Taupiri nous vîmes se succéder établissements sur établissements, avec de belles plantations. Au confluent du Waikato et du Waipa, à cinq milles du Taupiri, sur la pointe de terre comprise entre leurs eaux se trouve la résidence du roi des Maoris. Les principes politiques du capitaine Hay ne lui permettant pas de rendre visite, dès le commencement de notre voyage, à Sa Majesté Potatau Te Wherowhero, nous passâmes outre sans visiter ce lieu remarquable sur lequel flottait le pavillon national indigène.

Ayant passé du Waikato dans le Waipa, nous en suivîmes les hautes rives jusqu’au vieux pah de Tekohai, où nous mîmes pied à terre pour voir un chef influent nommé Takerei qui, à raison de ses sentiments amicaux pour le gouvernement, avait des titres à notre visite. La réception fut très-cérémonieuse ; nous rencontrâmes Takerei avec son ami Hawaïki, et nous nous assîmes sur des nattes près des deux chefs. Une longue conversation politique, à laquelle je ne compris rien, s’établit alors entre eux et le capitaine Hay. Je faisais mes observations en silence. Je n’avais jamais vu un front maori plus noble et plus beau que celui du fier Takerei ; mais aussi jamais de traits plus froids et plus austères que ceux de son visage tatoué dans tous les sens. Aucun sourire, aucune expression amicale n’éclaira sa figure pendant notre entrevue qui dura plusieurs heures. Il était assis, replié sur lui-même et enveloppé dans une sale couverture de laine, fumant sa pipe et jetant des regards farouches autour de lui : il donnait d’un ton bref des ordres aux indigènes qui entraient et sortaient. Il y avait quelque chose de fort imposant, mais aussi d’extrêmement sauvage, dans l’aspect fier et sérieux de l’homme qui m’apparaissait comme fondu dans de l’acier. Et cependant les Européens doivent reconnaître dans Takerei un homme très-sensé, lui qui ne veut rien savoir des complots maoris, qui s’est dessaisi d’une grande pièce de terre dans le but de fonder une école de missionnaires et a usé de toute son influence pour empêcher que les spiritueux (wai pirau, c’est-à-dire eau infecte) ne fussent introduits dans le pays. On assure qu’il ne laisse pas remonter le fleuve aux canots chargés d’eau-de-vie. Takerei avait commandé en notre honneur un repas, et dès lors ne voulant pas commettre l’inconvenance la plus grave selon les coutumes indigènes, nous ne pûmes partir avant d’avoir mangé avec les chefs. Enfin des pommes de terre, des anguilles et du lait furent servis, et nous pûmes nous mettre en route au crépuscule. Nous nous rendîmes par un beau clair de lune à Karakariki ; nous trouvâmes les habitants du village étendus autour d’un feu pétillant dans une grande hutte. C’était un vrai tableau de bohémiens. Mais la nouvelle que les Pakehas arrivaient les mit tous sur leurs jambes, et, jusqu’à une heure avancée de la nuit, nos tentes furent entourées de curieux.

Le 16 mars, nous fîmes halte à la mission wesleyenne de Kopua où je fus reçu avec mes compagnons de la manière la plus cordiale par le révérend Alexander Read. Nous passâmes la soirée à nous entretenir des mœurs des indigènes et de leur aptitude à recevoir la civilisation, et le lendemain le révérend Read fut assez aimable pour nous accompagner sur les rives du Waipa, où nous trouvâmes une société nombreuse de Maoris, environ deux cents personnes, réunies pour un repas de noces. Les tentes avaient été élevées ; les convives se pressaient autour de longues rangées de tables chargées de pain, de pommes de terre, de maïs, de viande de porc, de thé et de toutes sortes de fruits. Dans ces fêtes, pour lesquelles en choisit habituellement le temps qui suit la récolte, comme le moment de la plus grande abondance, le festin se continue pendant trois jours, au milieu d’une douce joie. Mais par suite de ces bombances inconsidérées, les privations se font souvent sentir plus tard avant la nouvelle récolte.

Dès qu’ils nous virent approcher, ils nous présentèrent des corbeilles remplies de viande et de pommes de terre. Il ne fallait pas penser à continuer notre route avant d’avoir fait honneur à l’hospitalité de ces braves gens. Je dus faire contre fortune bon cœur, et, en signe de bienvenue, me frotter le nez contre celui d’une femme âgée mais aimable, épouse du chef Ngaturo ; elle m’offrit un morceau de porc, des pommes de terre et des pommes, et m’engagea à prendre place à ses côtés, au milieu des convives qui s’étaient avancés sans plus de vêtements que dans la scène connue de Macbeth.

J’avais le choix entre deux routes pour me rendre du Waipa au lac Taupo ; l’une d’elles conduit au pied du Maungatautari, le long de la vallée du Waikato, et aboutit à l’extrémité septentrionale du lac ; c’est celle qui fut suivie en 1851 par Dieffenbach, et sur laquelle aujourd’hui, tous les quinze jours, passe la malle-poste de la baie d’Hawke à Auckland. La seconde route mène, en remontant le Waipa, à travers le pays de Mokau et de Wanganui, à l’extrémité méridionale du lac. Il est plus long et beaucoup plus difficile que le premier ; mais comme il passe au milieu de contrées rarement visitées, il promet d’être bien plus intéressant. Je n’hésitai pas à me décider pour ce dernier itinéraire. Nous prîmes un cordial congé de M. Read et de sa famille, et comme, au moment de nous mettre en marche, nous adressions aux aimables dames du logis un dernier adieu à la manière allemande, l’un des Maoris dit : « Voyez, ce sont vraiment des chefs dans leur pays, ils connaissent les usages ; les autres (ils désignaient nos serviteurs) ne sont que des esclaves européens. »


VII


La région des volcans, des eaux thermales et des geysers. Le lac Tanpo et le Te-Ta-Rata.

Le 7 avril, nous passâmes le Mokauiti, et nous entrâmes dans une épaisse forêt. Nous grimpions avec peine sur les racines glissantes, au milieu d’une demi obscurité, quand soudain un coup de feu retentit à côté de nous, et, derrière le tronc monstrueux d’un kahikatea,