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tropicale, et de celui des latitudes tempérées. Cette inconstance et cette irrégularité, jointes à l’action prolongée d’un soleil de feu, donnent aux grands bois du Paraguay méridional l’aspect de ces forêts moins vastes et moins touffues, qui portent au Brésil le nom de Catingas. La végétation est moins riche et moins pressée ; elle comprend quelques espèces qui se dépouillent de leurs feuilles. Ainsi, sous le rapport de sa flore et de l’étendue de ses forêts, le Paraguay sert de transition entre les grandes plaines du sud et l’immense région forestière du bassin de l’Amazone ; à partir du 24e parallèle, les forêts alternent avec des savanes noyées ou couvertes de hautes herbes et de palmiers. Le cours du Parana, de l’Uruguay et des sous-affluents de la Platà, est indiqué par des bandes étroites couvertes d’une végétation luxuriante et tracées en zigzags au milieu d’un désert de verdure.

La faune ne présente pas plus que la flore un aspect particulier, un ensemble caractérisé par certaines espèces dont l’existence permette de la reconnaître à première vue, elle marque la transition entre la faune des contrées intertropicales et celles des latitudes plus élevées.

Jeune esclave métis ; Porteuse d’eau à l’Assomption. — Dessin de Sauvageot.

Mais si, sous le rapport de la fertilité du sol, le Paraguay a sa place parmi les plus favorisées du globe, on peut dire aussi que la nature, vraiment prodigue, l’a peuplé d’un nombre presque infini d’êtres vivants. Toutes les grandes divisions du règne animal comptent de nombreux représentants dans la faune du Paraguay et des Missions, et plus d’un, sans nul doute, caché dans les profondeurs boisées des forêts, a su échapper jusqu’ici aux recherches des rares naturalistes qui les ont traversées. La vue de tant de richesses zoologiques rappelle le mot de l’Indien qui guidait MM. de Humboldt et Bonpland à travers les bois vierges de l’Orénoque : Es como el Paraiso ; c’est le paradis terrestre.

Dans la tribu des Carnivores, le genre chat (felis), comprend des animaux fortement armés, sanguinaires et redoutables. À leur tête, il convient de placer le jaguar, ce noble représentant du tigre royal de l’ancien continent, qu’il égale en taille, en courage et en férocité, quoique des naturalistes aient prétendu le contraire. Le jaguar fait de larges brèches dans les troupeaux du Paraguay ; aussi élève-t-on dans les fermes (estancias), un grand nombre de chiens de forte race, qui donnent l’éveil, signalent l’approche de l’ennemi et servent à le poursuivre. Ces courageux animaux, nourris exclusivement de viande crue, ne sont pas eux-mêmes tout à fait sans danger pour le voyageur, qui comprend à leur vue le rôle jouaient les limiers de la Grande-Bretagne dans les guerres des Gaules, et le cruel usage qu’en ont fait, à une époque moins ancienne, les conquérants du nouveau monde, pour traquer jusqu’au fond des forêts les malheureux Indiens, ou pour atteindre les esclaves fugitifs. Si les chiens obligent le tigre à monter sur un arbre, alors il devient facile au plus hardi chasseur de la troupe de l’abattre. Mais malheur à lui si la terrible bête est seulement blessée. Le jaguar ne fond pas sur lui d’un seul bond ; il descend de l’arbre lentement, à la manière des chats, se redresse à quelques pas, et cherche à l’aide de ses griffes à saisir sa tête et à la dévorer. C’est à ce moment de suprême danger que certains hommes de l’Amérique centrale ne craignent pas d’engager dans sa gueule leur bras gauche enveloppé d’une