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désormais passer si nous voulions aller au fond du puits.

Je me rendis sans mot dire à ces raisons, et alors commença la descente la plus longue, la plus pénible que j’aie jamais faite de ma vie. Les marches succédaient aux marches, les échelles aux échelles, et c’est à peine si de loin en loin nous rencontrions un petit plancher pour nous asseoir et respirer à l’aise un instant. Parfois je me prenais à réfléchir que cette descente devait être suivie d’une montée aussi longue, mais plus pénible de beaucoup, et cette idée me coupait bras et jambes. Çà et là nous rencontrions des ouvertures de galeries, et comme je voulais y pénétrer :

« Plus bas, plus bas, me criait le capitaine ; ici les travaux sont abandonnés, il n’y a rien à voir. »

Et nous recommencions à descendre.

Enfin nous arrivâmes, non pas au fond du puits (il aurait fallu une heure pour y atteindre), mais à mi-chemin où nous fîmes une halte définitive.

J’entendais les coups de marteau des mineurs, le bruit métallique du fleuret résonnant sur la roche, et je rendis grâce au ciel.

Le point où l’on travaillait était un puits intérieur creusé dans le filon. Nous nous y rendîmes, suspendus au bout d’un mince câble enroulé autour d’un treuil, et nous visitâmes ce chantier. Un groupe de mineurs était occupé à faire un trou de mine, battant du marteau sur la tête du fleuret. La roche (quartz ou cristal de roche compacte) était dure, scintillante, faisant feu sous le choc de l’acier.

Dans une galerie voisine que nous parcourûmes également, le travail se faisait à trois hommes : l’un, accroupi, tenant le fleuret entre les mains, les deux autres debout, frappant à tour de bras sur la tête du fleuret, comme deux forgerons sur l’enclume.

Après avoir assisté à ces divers travaux, visité d’autres galeries où le minerai abattu était amené par des wagons roulant sur un chemin de fer jusqu’au bas des puits d’extraction[1], nous remontâmes une partie des échelles, puis enfilâmes un long tunnel où se déversait l’eau des pompes, coulant comme un petit ruisseau.

« Goûtez à cette eau, » me dit le capitaine.

Je me baissai, et ramassant, comme Diogène, un peu d’eau dans le creux de ma main, je la portai à mes lèvres. Je la rejetai vivement ; elle était amère comme une purge à la magnésie, comme une solution de sel d’Epsom ; c’était de l’eau de mer rendue encore plus désagréable à boire par la présence des pyrites ferrugineuses de la mine. Celles-ci ajoutaient à son goût celui de l’encre, et un long dépôt d’ocre rouge marquait le parcours de l’eau. Il n’y avait pas à en douter, les chantiers que nous venions de parcourir gisaient sous les eaux de l’Océan ; ils étaient doublement sous l’abîme.

Continuant notre course dans le tunnel où nous nous étions engagés, nous fûmes tout étonnés de nous retrouver à la lumière au bord même de la mer. Nous remerciâmes la Providence, protectrice de la mine que nous venions de visiter, de nous avoir permis de faire sans encombre cette intéressante excursion, et nous oubliâmes l’aventure du début qui avait failli se dénouer d’une manière si fatale.

Les mines du Levant et de Botallack, qui se trouvent dans le voisinage de celle de la Providence ne sont pas moins curieuses à explorer. À Botallack, un tunnel souterrain débouche également sur la mer. Un pont en charpente est jeté hardiment sur une crique battue par les vagues, et plus haut, à la pointe d’un rocher à pic, la maison principale de la mine avec sa cheminée couronnée d’un panache de vapeur ressemble à un phare d’un nouveau genre.

La grande voix de la tempête s’unit souvent dans ces parages au bruit strident des machines, et plus d’une fois, quand tonne l’ouragan, les mineurs ont entendu les cris de désespoir des naufragés, auxquels ils ne peuvent guère porter secours sur ces plages taillées à pic. On dit que dans ces jours d’orage, le bruit formidable des galets roulés par les vagues au fond des eaux se fait entendre dans les galeries sous-marines ; alors les ouvriers épouvantés s’échappent, ne pouvant supporter de sang-froid ce roulement sinistre qui semble annoncer l’irruption prochaine de la mer jusque dans ces chantiers souterrains.

Partout le rivage est taillé à pic, rivage de granit, lentement miné par les eaux, et redouté du marin. C’est ici le cap Cornouailles qui porte le nom du comté, puis le cap Land’s end ou Finistère, comme nous dirions en français. Ce point est la limite la plus avancée de la Grande-Bretagne sur la mer ; là se trouve la première et la dernière maison de la vieille Angleterre, la première qu’on rencontre en arrivant de l’Atlantique, la dernière qu’on aperçoit en partant, celle à laquelle on adresse le dernier adieu.

Dans la Manche, bien au delà de la baie de Penzance et de Saint-Michel, c’est le cap Lizard ou Lézard (ainsi nommé de la couleur des roches qui le forment), autre sentinelle avancée de la Grande-Bretagne, mur de granit et de porphyre qui, non moins que les murs de bois dont elle était naguère encore si orgueilleuse, défendent les approches de l’invincible Albion.

Tous ces rivages sont pleins de légendes. Le Devon, le Cornouailles, sont les pays des anciens géants et des fées, des enchanteurs, des chevaliers de la table ronde, et des héros comme les douze pairs, Lancelot et le roi Arthur. Le diable lui-même n’y perd pas ses droits.

À Helstone, par exemple, Belzébuth passait un jour. C’était dans une de ses nombreuses excursions à travers le Cornouailles. Il portait sur le dos une de ces énormes masses de granit qu’il a semées dans les pays, où elles ont produit les montagnes bosselées que l’on y voit aujour-

  1. La méthode d’exploitation consiste à tracer des galeries ou niveaux, levels, suivant la direction du filon, et des descenderies ou galeries inclinées suivant sa pente. On découpe ainsi le gîte en massifs rectangulaires que l’on abat par un des angles en remblayant les vides produits avec la roche stérile.