Page:Le Tour du monde - 11.djvu/396

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soulève sur ses ancres, gardien tu ne peux fuir, allume tes feux, et l’œil au guet, l’oreille tendue, écoute si quelque bruit sinistre, si le cri d’alarme d’un navire en détresse n’arrive point jusqu’à toi.

Je me souviens d’avoir rencontré par un temps assez gros un de ces light-boats dans la Manche. Nous avions quitté le port de Cowes dans l’île de Wight et nous traversions le canal dans toute sa longueur pour gagner l’Océan. Le temps, beau le matin, s’était tout à coup rembruni sur le soir, comme il arrive souvent dans ces parages.

La mer venant du large déferlait avec force contre les membrures de notre navire. On aurait dit que chaque coup de piston de la machine n’avait pour effet que de laisser le steamer en place.

Vue de Saint-Just. — Dessin de Durand-Brager.

Nombre des passagers, vaincus par le tangage, étaient allés demander à leurs cabines un peu de repos et s’étendre horizontalement sur leurs couchettes.

J’essayai de résister et de dire un dernier adieu à cette terre d’Europe que j’allais quitter peut-être pour bien longtemps. Tout à coup j’aperçois sur les eaux un navire démâté, ballotté par la vague. Deux hommes à bord nous font des signaux. — Quest-ce donc ? un navire en détresse ? Point du tout, c’est le light-boat vigilant qui nous dit adieu au passage. Marin, tu peux aller tranquille, le bateau-phare fait son devoir.

Il est peu de côtes aussi redoutées du navigateur que les côtes du Cornouailles, et avec bien plus de raison encore que celles du Pont-Euxin elles mériteraient le titre que celles-ci ont reçu des anciens, par ironie bien entendu. Chacun sait que le Pont-Euxin signifie en grec la mer hospitalière ; les Grecs, ces éternels amis des figures de rhétorique, en mettaient jusque dans la géographie et baptisaient leurs mers par antiphrase.

Les phares, les lumières flottantes suffisent bien pour annoncer au navigateur l’approche des côtes ou d’un écueil ; mais le naufrage a lieu quand même dans les mauvais temps.

Phare dans la baie de Saint-Just. — Dessin de Durand-Brager.

Les Anglais ont essayé de conjurer le mal à l’aide de la belle institution des life-boats ou bateaux de sauvetage, que nous venons d’introduire en France. Lutter contre le naufrage lui-même, essayer d’arracher le plus de victimes possible à la mer en courroux, cela est grand, cela est sublime. Quand un signal de détresse se fait entendre sur la mer, quand un navire tire le canon d’alarme, allume le tonneau de résine, ou met son pavillon en