Page:Le Tour du monde - 11.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gyar ; Novisad, en serbe), ville libre royale, sur la rive gauche du Danube, et siége d’un évêché serbe suffragant de la métropole de Carlovitz. Mais il est pleine nuit ; c’est à peine si je distingue les toits de quelques maisons et les clochers des principales églises.

Un pont de bateaux relie Neusatz à Peterwardein (en magyar, Petervarad), dont la citadelle fameuse, élevée sur un promontoire qui domine le cours du fleuve, présente avec orgueil son triple front de murailles immortalisées par le prince Eugène (1716). Peterwardein, capitale des confins militaires slavons, n’est distant que de quelques milles de Carlowitz, célèbre par ses vins et plus encore par le traité de paix qui y fut signé en 1699 entre la Porte et les puissances chrétiennes (Autriche, Venise, Pologne, Russie), et qui commença la décadence de la monarchie ottomane. Carlovitz est la capitale religieuse et politique des serbes d’Autriche, et la résidence de leur patriarche. Le titulaire actuel, M. S. Masierevitcb, a succédé cette année (1864) au célèbre patriarche Joseph Raïatchitch, qui joua un rôle considérable dans les événements politiques de 1848-49 en Hongrie. Il fut le promoteur et le président de la grande assemblée serbe qui se réunit le 13 (1er  mars) 1848 à Carlowitz, et qui, poussée à bout par l’intraitable orgueil des Magyars, décréta le rétablissement de l’ancienne voïvodie serbe comme État distinct et indépendant de la couronne de Hongrie.

La contrée que nous longeons, à droite et à gauche, fait partie des confins militaires autrichiens. Titel, que nous rencontrons bientôt sur notre gauche, au confluent, de la Theiss et du Danube, forme un district particulier d’une population d’environ trente mille âmes, au sein de laquelle se recrute le bataillon dit des Tchaïkistes. Tchaïque est le mot qui sert à désigner les petits bâtiments dont se compose la flottille du Danube.

La Theiss (Tysa, Tibiscus), l’affluent le plus considérable du Danube, dont elle double la largeur et le volume, descend des Carpathes et, traversant la Transylvanie et la Hongrie, vient finir à Titel après un cours de neuf cent vingt kilomètres. Elle formait jadis la limite de l’ancienne Dacie à l’ouest. Elle est plus poissonneuse encore que le Danube et nourrit une population de pêcheurs qui aiment leur rivière comme les csikós de la Puszta aiment leurs steppes. Le costume est le même, sauf le chapeau qui est plus large et les bottes qui n’ont pas d’éperon. Ils montent de petites barques plates, sans gouvernail, de construction grossière. Ceux que j’entrevois ont es traits accentués, maigres avec un teint fiévreux. L’expression générale de leur physionomie est sérieuse, presque triste.

Chemin de la rive droite du Danube. — Dessin de Lancelot.

De Peterwardein à Belgrade, la rive droite présente une succession de hautes croupes argileuses séparées par des ravins qui descendent du sommet, si étroits, qu’on les croirait creusés de mains d’hommes. Quelques-uns de ces ravins forment chemin ; mais quel chemin ! Des ornières à y coucher une locomotive. Vers le milieu d’un de ces casse-cou, j’aperçois entre les parois très-rapprochées un lourd chariot que des bœufs attelés en arrière retiennent sur la pente trop rapide. Secoué violemment de gauche et de droite par les cascades du sol, il cogne la muraille friable et en détache des nuages de poussière blanche. Au bas du chemin qui n’a d’issue que le fleuve