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dans ses limites la surface totale de quatre anciens États indépendants : le Kordofan, le Sennâr, le Shendy et le Dongolah.

Méhémet-Aly débuta dans la conquête du Soudan par une expédition qui, partie d’Égypte en 1820, étendit sa marche triomphale, nous l’avons dit, jusqu’aux premières montagnes de la Nigritie. Les Égyptiens n’éprouvèrent donc que de faibles résistances pour faire la conquête de ce pays ; mais il n’en fut pas toujours de même ensuite. Pour s’y établir définitivement, ils rencontrèrent beaucoup de résistance passive, de mauvais vouloir, et eurent à réprimer de sérieuses révoltes. Néanmoins l’esprit de nationalité étant très-divisé et peu développé, les Égyptiens professant la même religion que les habitants de ces pays et ayant avec eux quelque similitude de mœurs et d’usages, ils dominèrent assez facilement au Soudan oriental.

Les limites actuelles de la domination égyptienne sont, à l’ouest, les régions désertes qui séparent le Kordofan du Dar-Four. Sur la rive gauche du Nil Blanc, elles confinent aux montagnes du Takalé et aux peuples Bakaras ou pasteurs qui errent entre ces montagnes et le fleuve. Les limites entre le fleuve Blanc et le fleuve Bleu sont, sauf une partie des Abou-Rof, celles des peuples soudaniens avec les nègres idolâtres qui se maintiennent et se défendent aux monts Dinka, Taby et Akaro. Sur ce dernier point, le pouvoir égyptien s’étendait naguère encore plus au sud, dans les premières montagnes de la Nigritie ; mais les razzias humaines que ce gouvernement y faisait pour se procurer des soldats et des esclaves ont amené chez ces nègres une surexcitation et une continuité d’hostilités, qui l’ont forcé à abandonner leur pays. Ce fut encore pis sur les bords du Saubat ; les Égyptiens éprouvèrent une résistance si acharnée, que ce ne fut qu’en guerroyant continuellement et en recevant leurs approvisionnements par le Nil, qu’ils purent s’y maintenir quelque temps ; maintenant les razzias humaines dans ce pays sont devenues plus rares. Du côté de l’Abyssinie, les possessions égyptiennes confinent à la petite république de Gallabat adossée au mont Kouara, et habitée par des Fouts et autres Takrouriens réfugiés. De là, cette limite touche à l’Atbarah, près Soufi, passe à Alguéden et va rejoindre la mer Rouge au torrent de Lava, disent les Égyptiens. Mais ces dernières limites sont plutôt fictives que naturelles, car les Bogoz et une partie des Barkas qui sont au nord de cette ligne n’ont jamais payé tribut, plus à l’Égypte qu’à l’Abyssinie ; on conçoit d’ailleurs que ces frontières sont susceptibles de variation selon les circonstances et la prospérité de chacune des puissances limitrophes.

Quelques années après sa conquête, le gouvernement égyptien ayant désorganisé ou réduit autant que possible les anciennes capitales des souverains dépossédés, fonda Kartoum, dans l’angle formé par le confluent des deux Nils, et en fit le lieu de résidence du gouverneur général de toutes ses nouvelles possessions. Kartoum devint bientôt une ville importante ; elle comptait en 1848 environ trente mille âmes. Sa position centrale et facile à défendre était bien choisie ; deux fleuves y amènent les produits du sud ; un autre la met en communication avec l’Égypte. Mais une fois les pays soumis et à peu près pacifiés, l’autorité établie, les pachas d’Égypte prirent ombrage de ce trop puissant gouverneur. Dès 1848, divers détails qui me furent racontés pendant mon séjour dans ce pays me firent connaître les craintes conçues et les précautions prises par Méhemet-Ali relativement à ce danger. Enfin, en 1858, un de ses successeurs, Saïd-Pacha, modifia cet état ; et le pouvoir central de Kartoum fut réparti entre quatre gouverneurs ou préfets, portant le nom de Moudir, relevant directement du gouvernement égyptien. Les villes où réside chacun de ces Moudir sont Lobeïd pour le Kordofan, Kartoum pour le Sennâr et les régions circonvoisines de cette ville ; Kassala pour le Taka, et enfin pour le Dongolah, la nouvelle ville du même nom. Chacune de ces circonscriptions est divisée entre plusieurs kachef, sorte de sous-préfets desquels relèvent les cheiks ou maires.

La population du Soudan égyptien ou oriental est des plus variées, tant par suite de ses éléments primitifs que par l’effet des influences locales et des croisements. Toutefois l’élément nègre n’entre pas pour une aussi grande part qu’on paraît le croire dans cet État du Soudan. On y reconnaît également les trois grandes divisions de la race sémitique. La première ou la plus anciennement établie dans ces régions se compose des Fouts, représentés au Soudan oriental par les Founs, dans le Sennâr, par une partie des Noubas au sud du Kordofan. La petite république de Gallabat sur les confins de l’Abyssinie paraît aussi laisser dominer l’élément fout.

Jusqu’alors il s’est établi une grande confusion dans les récits de voyage et conséquemment dans la géographie et l’histoire, par suite de l’erreur où sont tombés les voyageurs qui, n’ayant pas poussé leurs explorations jusque dans les régions habitées par les véritables nègres, n’ont pas su distinguer le type fout ou foun et d’autres encore des types nègres. Outre le teint très-foncé de ces Fouts, quelques individus participant encore plus du nègre par croisement et les influences climatériques ont contribué à modifier les types. Tout cela réuni a pu tromper les explorateurs qui, au lieu de comparer ces peuples aux véritables nègres, les comparaient aux races blanches et y trouvaient naturellement de très-grandes oppositions, surtout sous le rapport de la couleur. Mais si, au lieu de s’arrêter à cet examen superficiel on va au fond des choses, on retrouve les traits caractéristiques de la race sémitique. Le cheik Arbab, gendre et successeur détrôné du Meck-Badé, dernier souverain de ce peuple fout ou foungi, voyagea longtemps avec nous, et nous donna beaucoup de renseignements sur ce qu’il appelait son peuple. Lorsque nous fûmes au milieu des vrais nègres du Hamatché avec ce prince et les personnes de sa suite, qui toutes appartenaient à ce même peuple, rien