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qu’il méditait. Enfin, au mois de juin 1587, ses troupes sont à leur poste, réparties dans les provinces suspectes de Kiousiou et de la côte méridionale de Nippon, et en état de réprimer toute tentative de résistance. Aussitôt, le même jour, d’un bout à l’autre de l’empire, on affiche un édit du siogoun par lequel celui-ci ordonne, au nom et comme lieutenant du mikado, la suppression du christianisme dans un délai de six mois, en prescrivant, comme mesures d’exécution, que les missionnaires étrangers soient bannis à perpétuité, sous peine de mort ; que leurs écoles soient immédiatement fermées, leurs églises rasées, les croix abattues partout ou elles se trouvent ; et que les indigènes convertis abjurent la nouvelle doctrine entre les mains des officiers du gouvernement. En même temps, pour constater l’accord des deux pouvoirs, le mikado fait une visite solennelle à son lieutenant, tandis que celui-ci, pour récompenser les services de son fidèle Hiéyas, l’élève au rang de son premier ministre et l’institue gouverneur de huit provinces.

Toutes les mesures prévues par l’édit du siogoun s’accomplirent ponctuellement, à l’exception d’une seule, et c’était précisément celle qui, dans l’esprit de l’ancien palefrenier du daïri, devait lui causer le moins d’embarras. À sa profonde stupéfaction, les chrétiens indigènes de toute classe, de tout sexe, de tout âge, refusèrent absolument d’abjurer.

Il frappa dans leurs biens ceux qui possédaient des terres, et enrichit ses officiers de leurs dépouilles. D’autres furent mis en prison ou exilés dans les îles de déportation. Ces exemples de rigueur ne produisirent aucun effet.

La peine capitale menaça les récalcitrants. Ils présentèrent leurs têtes au sabre des bourreaux, avec une résignation jusqu’alors inconnue. Souvent le témoignage qu’ils rendaient de leur foi leur attirait les sympathies de la foule.

On varia les supplices. On alluma des bûchers, comme l’Inquisition portugaise le faisait à Goa. La crucifixion aussi fut la part d’un grand nombre de victimes.

Le supplice du puits. — Dessin de Feyen-Perrin d’après une vieille gravure hollandaise.

Au Japon, l’on attache le patient à une croix à quatre branches : ses deux bras sont étendus sur les deux branches supérieures, et ses jambes sur les branches inférieures. On le laisse exposé du matin au soir dans cette situation. Au coucher du soleil, deux bourreaux, placés l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, lui enfoncent sous les aisselles deux longues piques, dont le fer doit ressortir et se croiser sur la nuque, puis le cadavre est abandonné pendant vingt-quatre heures sur la croix.

Les martyrs japonais rivalisèrent, pour la constance de leur foi, avec les premiers confesseurs de l’Évangile. Le Hollandais François Caron, témoin oculaire des dernières phases de la persécution, dit que les rares exemples d’abjuration qui sont parvenus à sa connaissance, ont été dus principalement à l’emploi d’une torture plus affreuse que les supplices de la croix ou du bûcher. Elle consistait à pendre la victime, la tête en bas, dans l’intérieur d’une citerne, les pieds sortant de la margelle, que l’on fermait avec des planches pour rendre le puits tout à fait obscur. La mort ne délivrait le supplicié qu’au bout de huit à dix jours de souffrances.

Pendant trois années consécutives la fureur des officiers du siogoun s’épuisa inutilement en raffinements de barbarie et de brutalité, en inventions atroces, hideuses, indicibles, sur plus de vingt mille cinq cents victimes, hommes et femmes, jeunes gens et jeunes filles, vieillards et petits enfants.

Tout à coup la persécution se ralentit. Fidé-Yosi appelle aux armes le ban et l’arrière-ban de la noblesse féodale et jette près de cent soixante mille combattants sur les côtes de la Corée, avec laquelle le Japon était en pleine paix (1592).

Ses généraux somment les Coréens de se joindre à eux pour attaquer la dynastie des Mings. L’armée chinoise se met en marche à la rencontre des envahisseurs ; mais elle subit une défaite si décisive, que l’empereur de la Chine se hâte d’offrir au siogoun la paix avec le titre de roi du Nippon, et premier vassal du Céleste-Empire.

Fidé-Yosi répondit fièrement : « Je suis déjà roi du Nippon, je le suis par moi-même, et je saurai bien, si je le veux, faire de l’empereur de la Chine mon vassal. »