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LE BATAILLON DE CYTHÈRE

gros, puisqu’il n’est plus là pour en profiter ?… C’est fini, je ne veux plus rien faire… en rentrant, je fermerai, je vendrai… je céderai à Anna… j’en ai assez de ce chahut : avec les deux cent mille déjà de côté, je vivrai… Monsieur fera ce qu’il voudra.

Elle se tourna vers le bonhomme resté debout devant elle, heureux de voir sa douleur s’exhaler en un flux verbeux, toujours inquiet d’une nervosité qu’il ne soupçonnait pas chez cette grosse petite femme.

— Voyez-vous, on est puni… Quand je pense que je ne voulais que lui… Après, quand il en est venu d’autre… je les ai décrochés… Oui, trois fausses couches, pour qu’il soit seul, monsieur, pour qu’il ait notre fortune à lui tout seul… C’était bien la peine… Et maintenant il est là… il est là…

Elle répéta — il est là — machinalement, pendant une minute, sans comprendre ce qu’elle disait.

L’instituteur était tout ému de cette révélation choquante des trois fausses couches. Cette entrée dans l’intime secret de la vie de la femme lui rendit de son équilibre ; il eut un : Calmez-vous, Madame ! empreint d’une autorité presque paternelle.

Mais elle tenait à se soulager entièrement ; dans son idée, elle pensait que la confession complète de l’ignoble métier qu’elle avait toujours caché à l’instituteur lui démontrerait mieux la grandeur du sacrifice — hélas ! inutile — qu’elle s’imposait depuis la naissance de l’enfant.

— Vous pensez, Monsieur, ce n’était pas pour moi, c’était pour lui… afin qu’il ne puisse pas rougir de sa