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Page:Le conseiller des femmes, 5 - 1833.pdf/2

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et quelques autres denrées dont elle tirait en le revendant un léger profit, qui, joint au produit de son rouet et de son tout petit jardin, la faisait vivre, sinon avec aisance, du moins avec ce qui semble à cette classe indigente et laborieuse composer tout le nécessaire de la vie.

Madeleine avait pourtant connu une meilleure situation : admise comme bonne d’enfant dans un des meilleurs châteaux environnant la ville de C***, elle y était restée long-temps et ne s’était séparée de ses maîtres que quand ils avaient eux-mêmes quitté le pays, afin d’aller habiter pour un temps l’Angleterre. La petite maison où depuis long-temps elle avait vécu heureuse à force de travail, était sa propriété, fruit de ses économies et des gratifications qu’elle avait reçues de ses maîtres.

Madeleine avait conservé de son ancien état quelque chose dans le langage et les manières qui la distinguait des autres villageois et lui donnait sur eux une sorte de prépondérance. La bonne femme le savait bien ; tant soit peu sentencieuse, elle s’écoutait parler avec un secret plaisir et aimait assez qu’on l’écoutât de même.

Déjà Madeleine a dépassé ce qu’on appelle pompeusement les portes de la ville ; elle chemine gaîment, comptant par ses doigts le profit du lendemain, et se promettant d’en acheter quelques vêtemens chauds, bien nécessaires par la rigueur de la saison. Tout en rêvant ainsi elle arrive en vue d’une ferme où personne ne paraît encore levé, tant Madeleine a été matinale. Tiens ! se dit-elle, ils sont bien paresseux ou moi bien alerte malgré mes soixante-dix ans ; et la vieille de sourire avec une secrète satisfaction ; car si la jeunesse ambitionne les grâces, le vieillard prétend à la force et à l’ac-