Un tel Dictionnaire , en effet , en même- temps qu’il devient un dépôt de
tous les mois de la Langue , en fait la revue. Eu déterminant les acceptions
cme l’usage le plus général leur a données , il prononce ou il indique le
jugement qu’il faut porter de cet usage : il apprend à distinguer les cas où
l’usage a eu raison , et les cas où il a eu tort. De tant de cas particuliers
,
où l’on voit la marche de l’usage , on ne tarde pas à remonter aux causes
les plus générales qui tantôt ont égaré l’usage , et tantôt l’ont bien guidé.
L’usage , qu’on a si souvent donné comme la seule Loi des Langues , verra
donc lui - même les lois qui doivent le gouverner ; il ne pourra pas les voir
si distinctement sans les suivre ; et tout un Peuple apprendra , dans un tel
Dictionnaire , à fixer sa Langue sans la borner : à la fixer , dis - je , non
dans des limites qu’on ne peut pas plus donner à la Langue d’un Peuple
qu’à sa raison et à ses connoissances , mais dans les routes où elle pourra
toujours s’avancer , en acquérant toujours de nouvelles richesses sans en
perdre jamais aucune.
L’influence , bien plus importante , d’un bon Dictionnaire sur la raison d’un
Peuple, est, peut-être , plus facile encore à démontrer.
C’est une vérité universellement reconnue aujourd’hui ; la cause la plus
générale et la plus dangereuse de nos erreurs, de nos mauvais raisoimemens
est dans l’abus continuel (pie nous faisons des mots.
Cetabuslui-mêmeasacause, etcettecausen’estpassimple; il yena
deux -.
la première est dans l’indétermination où chacun de nous laisse les
mots en parlant et en écrivant; nous les prenons et nous les donnons tantôt
•dans un sens , tantôt dans un autre : la seconde est dans le défaut d’une
détermination universellement convenue et connue. Chaque homme qui parle
et qui écrit , peut remédier à la première ; et les grands Écrivains n’y
manquent guère ; ils se font une Langue qui est à eux ; elle est exacte et
claire dans les ouvrages philosophiques ; elle est exacte , claire et belle dans
les ouvrages d’imagination : ils parlent toujours cette même Langue qu’ils
se sont faite : c’est pour cela qu’ils sont de grands Écrivains. Mais , par la
raison , précisément , que chacun d’eux se fait une Langue , les Langues que
tous se font sont différentes ; et c’est à cette différence , qu’il faut attribuer
très-souvent , celle des opinions qui les divisent : ils se croient séparés par
des mondes ; ils ne le sont souvent que par un mot dont ils ne font pas le
même emploi.
Quand tous les grands Écrivains , par une espèce de traité secret et d’alliance
très-naturelle entre le génie et le génie , s’accorderoient dans le même emploi
des mots , ils sont en trop petit nombre ; et leur convention , très - propre
à en préparer de plus étendues , seroit loin encore d’être une convention
nationale. C’est pourtant cet accord, c’est cette convention de tous avec tous,
qui est indispensable , pour qu’un Peuple s’entende toujours dans la circulation
de ses mots et de ses idées ; pour que ce commerce de tous les esprits serve
aux progrès et à la richesse de tous. 11 faut que chaque mot d’une Langue ,
en quelque sorte , soit frappé d’une empreinte particulière , qui marque son
Page:Le dictionnaire de l'Academie françoise, 1798 - T1, A-C.djvu/15
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