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xii PRÉFACE.

pour ses usages, pour ses moeurs, pour sa langue, la durée qui n'appartiendra qu'au génie particulier de ses grands écrivains, souvent confondus d'abord avec ceux qui leur ressemblent le moins. Richelieu chargeait l'Académie de fixer la langue ; et il ne savait pas que Descartes et Corneille venaient de la créer, aidés par une seule chose, après eux-mêmes, par ce mouvement vers l'unité qui partait de sa main puissante.

Toutefois, si le génie seul pousse en avant les esprits, il ne faut pas méconnaître ce qu'il y a d'utile dans un concert d'efforts dirigés vers le même but. Les premiers Académiciens avaient un singulier et naïf enthousiasme, quand ils s'appelaient eux-mêmes « des ouvriers en paroles, travaillant à l'exaltation de la France, » ou quand, sous Louis XIV, ils promettaient de « rendre immortels tous les mots et toutes les syllabes consacrés à la gloire de leur auguste protecteur. » Mais, sous ce zèle de candeur ou de flatterie, il y avait un grand amour des lettres, une étude, un culte de la langue, qui ne fut pas sans fruit. Le savoir judicieux et l'élégance correcte s'effacent pour la postérité, attentive seulement aux grands noms. Mais ces premiers critiques qui épurèrent notre langue, Patru, Vaugelas, Regnier Desmarais, étaient des esprits justes et fins, qu'on n'a pas surpassés dans la même oeuvre. Ils firent peu et lentement. Ils avaient raison : ils attendaient le travail du génie, pour aider au leur. En effet, lorsque Richelieu, avec cette précipitation impérieuse qui veut tout mûrir en un moment, avait commandé le Dictionnaire de la langue, on ne savait encore où prendre cette langue. Elle n'était plus dans l'inculte liberté et la confusion hétérogène du seizième siècle, on ne la voyait pas encore dans les génies rares et contestés des commencements du dix-septième.

En 1637, l'Académie avait discuté longtemps sur la méthode à suivre pour « dresser un Dictionnaire qui fût comme le trésor et le magasin des termes simples et des phrases reçues. » Puis, elle s'était occupée du choix des auteurs qui avaient écrit le plus purement notre langue, et dont les passages seraient insérés dans le Dictionnaire. C'étaient, pour la prose, Amyot, Montaigne, du Vair, Desportes, Charron, Bertaut, Marion, de la Guesle, Arnauld, Despeisses, le conseiller Pibrac, les auteurs de la Satire Ménippée, la reine Marguerite dans ses Mémoires, S. François de Sales, le cardinal du Perron, Duplessis-Mornay, le cardinal d'Ossat, de Dampmartin, de la Noue, de Refuge, Audiguier, Coeffeteau, et deux Académiciens, MM. Bardin et du Chastelet qui, morts depuis peu, devenaient pour la langue autorités souveraines, comme les empereurs romains devenaient dieux.

Cette liste était, ce semble, incomplète et peu raisonnée. En admettant qu'elle ne dût pas remonter jusqu'à Froissart, notre Hérodote, et si habile écrivain, en supposant Rabelais trop libre pour y être admis, on s'étonne de n'y pas voir la Boëtie à côté de Montaigne ; on y cherche tant de mémoires naïfs et éloquents du seizième siècle, ceux du bon serviteur de Bayard, ceux de Montluc, de Tavannes,