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PRÉFACE. xiii

les histoires de Brantôme et du véhément d'Aubigné, les discours de l'Hôpital. Parmi les écrivains qui dénouèrent la langue, on regrette de ne pas rencontrer le docte Henri Estienne, et Calvin, le méthodique et précis Calvin, auquel Bossuet accorde cette louange, d' avoir excellé dans sa langue maternelle, et aussi bien écrit qu'homme de son siècle. Enfin, l'Académie, pour se rapprocher par degrés de l'état nouveau de la langue, aurait dû joindre à Coeffeteau d'autres écrivains placés sur la limite des deux siècles, l'intègre et éloquent Talon, et Mathieu, énergique historien de Louis XI. Mais quand la liste eût été mieux faite, elle devait toujours offrir un grand défaut dans le plan de l'Académie. C'eût été le trésor d'une langue qui avait en partie cessé, au moment où il s'agissait de la recueillir et de la proposer pour modèle.

La liste des autorités pour la langue poétique n'était pas moins surannée. Hormis Malherbe et Regnier, il ne s'y rencontrait pas un nom qui pût faire date pour cette poésie sage, ornée, naturelle, où devait atteindre notre langue. Ronsard et du Bartas y figuraient avec Marot et Saint-Gelais ; Desportes avec le cardinal du Perron ; et on y lisait les noms bien oubliés, de Motin, de Touvant et de Monfuron.

Quand ces listes furent dressées, on vit bien qu'on ne pouvait s'en servir ; et on résolut de revenir à l'usage, et de composer le Dictionnaire, non des auteurs, mais de la langue. Cette méthode était alors la meilleure, ou même la seule possible : mais l'exécution en devait être difficile et lente. L'Académie enregistrait ou effaçait les mots, sous la dictée du public, tout en se promettant de lui donner des lois. Plusieurs années se passèrent sans qu'elle eût rien ajouté aux excellentes remarques de Vaugelas, qui, mort en 1649, sept années avant les premières Provinciales, avait pressenti, par la justesse d'esprit et le goût, la prose française dont Pascal allait créer le modèle.

De la censure minutieuse et délicate de Vaugelas, le travail de l'Académie passa dans la main rude et encore un peu gauloise de Mézeray, qui, le meilleur de nos vieux historiens, pour la liberté du jugement, la vigueur du récit, et parfois l'éloquence, se trouva chargé de recueillir dans l'usage la belle langue française, qu'il n'adoptait qu'à demi. Il s'occupa trente ans de cette tâche plus paisible que celle d'écrire l'histoire. Nous avons même, touchant son travail et le progrès du Dictionnaire, une date précise, et une anecdote qui se rapporte au séjour de Christine en France.

Cette princesse, lorsqu'elle était encore sur le trône et qu'elle y recueillait les hommages de tous les savants de l'Europe, avait envoyé son portrait à l'Académie française, très-célèbre dans le Nord. Ayant reçu en retour une magnifique épître, telle qu'on en écrivait alors pour les grandes et les petites choses, Christine y fit en français une réponse datée d'Upsal, où elle annonce déjà le dessein d'abdiquer la couronne pour cultiver les lettres en repos, se promettant bien, dit-elle, que la langue française sera la principale langue de son désert.