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PRÉFACE. xv

conversations et les fêtes ingénieuses de Versailles, il y avait les solides entretiens de Port-Royal, l'apostolat perpétuel de ses solitaires, leurs liaisons fréquentes avec la magistrature, et avec le peu de libres consciences qui, sans se séparer de l'ancienne foi, n'étaient pas toutes soumises au roi et au pape. Port-Royal était une secte, dans le sens le plus honorable du mot. Par là, il eut et garda, pendant le dix-septième siècle, une grande influence sur les moeurs, les écrits, la langue. L'action isolée d'un homme de génie n'a pas ce pouvoir : il fait quelques bons ou quelques mauvais imitateurs ; mais, pour modifier l'usage, pour mettre une empreinte nouvelle sur l'esprit d'un peuple, il faut l'influence d'une opinion qui a de nombreux organes, et qui tour à tour agit, parle, écrit, et intéresse par ses combats et ses souffrances. Ce fut le sort et le privilége de Port-Royal.

En rappelant sur quelques points les esprits au libre examen, en mêlant la philosophie à la religion, et toutes deux aux lettres, Port-Royal donna le goût d'une diction sérieuse et nourrie, qui rapprochait la langue française des sources antiques d'où elle est sortie. Par une controverse assidue sur des questions de métaphysique, ces pieux solitaires firent entrer dans l'usage du monde une foule d'expressions qui tendaient à spiritualiser notre idiome, et à le rendre plus exact et plus précis. Quand on voit, dans les témoignages du temps, la réputation du grand Arnauld, et qu'on la cherche dans ses œuvres, on sent que cet homme fut nécessairement supérieur à ce qu'il a laissé, et qu'il domina surtout par l'action de ses entretiens et de ses disciples, et par la rapidité et l'à-propos de ses écrits. De là venait la grande part que les critiques donnaient à Port-Royal dans le perfectionnement du langage.

Arnauld et ses amis aidaient plus sensiblement encore à ce progrès par leurs travaux sur la grammaire générale et sur l'analyse comparée des langues. Pour la première fois, depuis la renaissance, la méthode philosophique dirigeait la philologie ; et tout l'artifice de la pensée était cherché dans l'artifice du langage. Un caractère essentiel de la langue française, celui qui la rend si propre aux sciences, aux affaires et à la vie, celui qu'elle ne peut perdre sans changer tout à fait, la clarté, instinct de notre esprit, devenait de plus en plus une loi de notre littérature. Elle se marquait par l'ordre direct du langage, la lumière des expressions, et cette netteté précise, où l'on reconnaît à quelques égards l'influence de la géométrie, de cette science judicieuse qui avait formé Descartes, et dont Pascal et ses amis mêlèrent l'inflexible justesse à l'ardeur même de l'éloquence. Les admirables Discours sur la logique étaient, pour Port-Royal, le fondement de toutes les études de langue et de goût. Tout, dans l'art d'écrire, y était ramené à l'art de penser, mais avec cette vive intelligence de la passion et du beau, qui distingue les vues de Pascal sur l'éloquence des critiques de Condillac sur le style.

Enfin, les écrits corrects et savants de Port-Royal excitaient dans le parti contraire, jusque-là tout empreint de barbarie scolastique, une émulation de déli-