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PRÉFACE. xxi

veau, « qui ne durera pas et est peut-être déjà passé ; ” et au mot effervescence, madame de Sévigné se récrie : “ Comment dites-vous cela, ma fille ? voilà un mot dont je n'avais jamais ouï parler. ” D'autre part, démagogue, terme peu nécessaire sous Louis XIV, était hasardé par Bossuet, et resta longtemps sans usage.

On peut trouver aussi que l'Académie, en prodiguant les proverbes, a trop épargné certains termes usités des artisans, et qui sont des images ou peuvent en fournir. Il y a là souvent une invention populaire, qui fait partie de la langue, et qui ne change pas, comme les dénominations imposées par les savants. Furetière avait raison de regretter le nom énergique d' orgueil, employé par les ouvriers pour désigner l'appui qui fait dresser la tête du levier, et que les savants appelaient du beau mot d' hypomoclion. Ces emprunts faits, pour un besoin matériel, à la langue morale, ces expressions intelligentes sont précieuses à recueillir. Shakspeare en est rempli dans sa langue poétique et populaire.

Si l'Académie était trop dédaigneuse à cet égard, en revanche elle avait beaucoup multiplié les termes de blason et de chasse. C'était un caractère du temps et des moeurs, qui s'est affaibli peu à peu dans les éditions suivantes du Dictionnaire, mais qui a laissé dans notre langue beaucoup d'expressions durables. Car il en est de certains usages effacés, comme de ces étymologies lointaines, qu'on ne sait plus mais qui agissent encore sur le sens et la portée des mots.

Ce premier travail de l'Académie était donc excellent pour le but qu'elle se proposait, et, à quelques égards, impossible à remplacer. Il constatait l'époque la plus heureuse de la langue. Le vocabulaire n'en était pas très-étendu ; mais plus tard les langues s'appauvrissent par leur abondance. Car toute expression nouvelle qui n'est pas le nom propre d'un objet nouveau, est une surcharge plutôt qu'une richesse ; et quand une langue est bien faite, les nuances infinies des sentiments et des idées peuvent s'y traduire par la seule combinaison des termes qu'elle possède. C'est par ce travail même qu'est souvent excité l'art de l'écrivain ; et les plus belles productions de l'esprit humain ont été composées avant cette excroissance de termes synonymes et cette végétation stérile qui couronne les vieux idiomes.

Mais, indépendamment des mots nouveaux, l'emploi nouveau des termes connus, les changements, les variantes d'acception, et tout cet ingénieux mécanisme qui transforme et étend les expressions par leur rapprochement, offrent une autre richesse de langage bien autrement difficile à discerner et à recueillir. Le premier travail de l'Académie était fort loin de l'avoir épuisée. Mais ce travail avait deux caractères, empruntés à l'excellent goût du temps : l'analogie dans la composition et dans le rapport des mots, l'abondance des idiotismes, de ces tours particuliers, qui sont la physionomie nationale d'une langue, et lui donnent l'originalité, comme l'analogie lui donne la justesse.

L'ouvrage en deux livres que Jules César avait écrit sur l' analogie, en l'adres-


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