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xxii PRÉFACE.

sant à Cicéron, est perdu, sauf quelques mots. Mais pour que ce grand homme ait été tenté par un pareil sujet, on doit croire qu'il y avait vu ce que ce sujet renferme, et qu'il ne supposait pas, comme Quintilien, « l'analogie fondée, non sur la raison, mais sur l'exemple, et n'ayant d'autre origine que l'usage[1]. » Recueillir cet usage, souvent contradictoire, eût été un pauvre soin pour César. Mais l'analogie est autre chose : ce n'est pas seulement une règle qui, dans les langues complexes et à désinences variées, soumet en général les mots de même forme à des modifications semblables. C'est aussi la proportion des termes entre eux, l'accord des images. En ce sens elle donne la raison de l'usage, ou le corrige ; elle est la partie la plus fine de la philosophie même du langage[2], et le plus sûr moyen de le faire servir à la plus complète intelligence de la pensée. Rien ne devait mieux que l'exacte observation de l'analogie prévenir la nuance d'indécision et d'obscurité à laquelle les langues anciennes étaient parfois exposées, par la liberté même de leur savante construction.

Ce que l'esprit si net et si élevé de César étudiait surtout et perfectionnait dans la langue latine, était, au dix-septième siècle, la qualité dominante de la nôtre ; et c'est, en grande partie, la cause du plaisir qu'on trouve à la lecture des bons livres de cette époque, de ceux même qui n'ont pas le caractère éminent du génie, et qui ne peuvent nous préoccuper par la nouveauté des idées et des connaissances. Nous y sentons dans le style, dans l'accord des pensées, des expressions, des images, une justesse qui satisfait l'esprit. Quand un mérite semblable cessa d'appartenir à la langue latine, quand les mots effacés et comme usés par le long usage y perdirent leur sens propre, et que l'oubli de leur sens figuré détruisit toute analogie dans leurs rapports, on peut voir, par les auteurs de la décadence, combien cette langue devint obscure et parfois inintelligible. L'avenir saura ce que le même défaut de justesse et de goût peut faire de notre langue française, autrefois si précise, si juste et si claire.

L'analogie, qui fortifiait en elle ce caractère, n'était pas l'uniformité systématique des règles du langage. On sait combien notre langue, au dix-septième siècle surtout, avait de liberté hardie dans les tours, soit par un reste des vieux dialectes parisien ou picard, soit par l'imitation des formes antiques. On sait aussi combien elle gagnait de vivacité à l'abondance de ces idiotismes, indigènes ou importés. Dès le seizième siècle, le plus profond de nos philologues, Henri Estienne, avait marqué, dans un grand nombre d'expressions composées et de tournures, la conformité de notre langue avec la grecque, et il en avait conclu qu'elle “ tenoit le second lieu entre tous les langages qui ont jamais esté, et le premier entre ceux qui sont aujourd'hui. ” Ce n'était encore que remarque de

  1. Non ratione nititur, sed exemplo ; nec est lex loquendi, sed observatio, ut ipsam analogiam nulla res alia fecerit quàm consuetudo. ” (Quintil. lib. I, c. vi.)
  2. « C. Caesar de analogiâ libros edidit, sciens sine eâ neque ad philosophiam, in quâ peritissimus erat, neque ad eloquentiam, in quâ potentissimus, posse quempiam pervenire. » (Joann. Sarisb. Metalogico. lib. I, c. ii.)