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xxiv PRÉFACE.

définition bien faite. Ce caractère marqué dès la première édition, a dû se perfectionner dans les suivantes : Dubos, Duclos, d'Alembert, esprits pénétrants et précis, s'en sont tour à tour occupés, et avaient encore laissé beaucoup à faire, même pour les termes de l'usage habituel et de l'ordre moral.

Mais une autre partie importante de l'histoire de la langue, l'étymologie, a continué de manquer complétement au Dictionnaire français, comme à celui de la Crusca. On a dit, à cet égard, que la science étymologique n'était pas faite à l'époque où l'Académie commença son travail ; qu'à toutes les époques c'est une science fort douteuse, et qu'en définitive elle n'est pas nécessaire pour la parfaite intelligence d'une langue arrivée à son état de perfection ; tant cette perfection même éloigne les mots de leur origine ! Le premier de ces motifs prendra plus de force, si l'on songe que, jusqu'au grand travail de M. Raynouard, l'anneau qui lie sur tant de points notre langue à la langue latine était presque ignoré, et qu'ainsi sa généalogie eût été toujours interrompue au degré le plus proche. Ajoutons ce qu'il y avait alors d'incomplet ou d'inaccessible dans les notions qu'on avait en France des langues du Nord et de l'Orient, et l'ignorance où l'on était de la principale source des langues grecque et latine ; et on comprendra sans peine que l'Académie, malgré les reproches de Furetière et l'exemple de Ménage, n'ait point tenté ce travail, qu'il ne faut pas essayer à demi.

En effet, la science étymologique est, selon le caractère des recherches, ou une curiosité tantôt facile, tantôt paradoxale, ou une étude féconde, qui d'un côté tient à la partie la plus obscure de l'histoire, de l'autre à l'analyse de l'esprit humain, à l'invention des langues, et à la perfection de la parole. Pour nos langues de filiation latine en particulier, indiquer, à côté du terme moderne, le mot latin d'où il dérive, c'est faire peu de chose, et parfois se tromper : car parfois le terme latin avait lui-même une racine septentrionale, à laquelle touchaient, avant la conquête romaine, les anciens habitants de notre sol, qu'on appelle nos pères. De plus, lors même que la dérivation du latin vers nous est évidente, souvent le mot, expressif à son origine, est devenu pour nous sans couleur. Le dictionnaire qui, au mot rival, ajoutera pour racine le mot latin rivalis, ne m'apprend rien, s'il ne m'explique comment les laboureurs latins et les jurisconsultes romains appelaient rivales les deux riverains qui se partageaient, et souvent se disputaient un ruisseau, pour arroser leurs prés, et comment ce mot a pris de là un sens moral, éloigné du terme primitif[1]. Il en est de même de presque tous les mots. Dire que désirer vient de desiderare, et considérer de considerare, calamité de calamitas, admirer de mirari, c'est presque ne rien dire ; c'est traduire un chiffre par un autre chiffre, à moins d'entrer dans l'explication même du terme étranger importé par nous.

  1. « Si inter rivales, id est qui per eumdem rivum aquam ducunt, sit contentio de aquae usu, etc. » (Ulpian. leg. 1.)