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PRÉFACE. xxiii

grammairien, juste et profonde, mais ne portant que sur quelques procédés de la parole. Racine fit pénétrer cette ressemblance plus avant, et jusqu'à l'âme de la poésie. Mais ce que prouvent diversement Henri Estienne et Racine, c'est combien certaines ellipses, certaines formes, certaines substitutions de temps dans les verbes, sans être justifiées par l'analyse, ont de grâce et d'énergie dans le style. En se corrigeant sur ce point, le langage s'affaiblit. Le nôtre est devenu plus grammatical, et moins français. On ne peut donc garder avec trop de soin ces tours nerveux et libres, liés aux origines d'une langue, et qui font d'elle une musique savante, variée, pleine de souvenirs, au lieu d'un chiffre de convention.

C'était beaucoup de bien conserver, dans la sèche nomenclature d'un dictionnaire, ce caractère précieux de la langue du dix-septième siècle. C'est là surtout le mérite du premier travail de l'Académie. Du reste on n'y trouve pas toutes les conditions d'un ouvrage approfondi sur la langue ; et on pourrait difficilement les introduire dans le plan que l'Académie s'était proposé.

Définitions, étymologies, citations textuelles, voilà ce qu'on demande au glossaire complet d'une langue. Mais sur le premier point, la tâche est impossible ; et c'est pour cela qu'elle est d'ordinaire si mal remplie. Il y a beaucoup de mots qu'on ne saurait définir, parce qu'on ne peut les interpréter par une idée plus claire que celle qu'ils portent avec eux. Ce sont ces mots que Pascal appelle primitifs, et qu'il compare aux premières choses sur lesquelles opère la géométrie, et qu'elle n'explique pas, espace, temps, mouvement, etc. De même pour une foule d'autres mots qui tiennent à la racine même de nos connaissances, et qui nous sont intelligibles par la lumière naturelle : nous pouvons les traduire, les sous-interpréter, les décrire en quelque sorte ; mais nous ne les définissons pas ; ou nous risquons de tomber dans une classification arbitraire qui changera, ou dans une dénomination vague qui ne dit rien. Pascal se moque de ceux qui, de son temps, avaient défini la Lumière, un mouvement luminaire des corps lumineux. L'Académie ne serait-elle pas tombée dans un défaut à peu près semblable, quand elle a défini l'Ame, ce qui est le principe de la vie dans tous les êtres vivants, et qu'ensuite elle a défini la Vie, l'état des êtres animés, retombant ainsi d'une première impuissance de définir dans une seconde, et les cachant l'une par l'autre ?

Toutefois, après ces termes fondamentaux, à l'égard desquels la définition ne peut être qu'une assertion scientifique ou une glose assez grossière, il est une foule d'autres mots, exprimant des complications ou des nuances que la définition analyse et démêle. Le soin apporté à ce travail est la partie la plus difficile d'un dictionnaire. Dans les meilleurs ouvrages de ce genre, on se borne presque toujours à traduire un mot par un autre, c'est-à-dire à en fausser le sens ; car il n'y a pas, dans la même langue, deux expressions qui aient exactement la même valeur, et qui puissent être de tous points substituées l'une à l'autre. Les bons écrivains savent cette vérité, encore plus que les grammairiens. Dans le travail de l'Académie, ces interprétations insuffisantes sont souvent précédées d'une


b.