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PRÉFACE. xxvii

les langues musicales de l'antiquité. Un philosophe romain, ami de Cicéron et de Pompée, avança, comme les Grecs, ce qu'a répété depuis le savant et ingénieux président des Brosses, que les mots n'étaient pas institués par convention[1], mais conformes à la nature des choses ; et il entra sur ce point dans de minutieux détails, qui rappellent quelquefois la leçon de philosophie de M. Jourdain. « Lorsque nous disons vous[2], écrit-il, nous faisons un mouvement de la bouche, assorti au caractère du mot ; nous écartons doucement le bout des lèvres, et nous semblons envoyer le souffle et la voix vers ceux à qui nous parlons. Au contraire, lorsque nous disons nous, nous n'enflons ni ne projetons la voix, nous n'avançons pas les lèvres ; mais, en quelque sorte, nous retirons, nous concentrons en nous-mêmes le souffle de la parole et le mouvement des lèvres. »

Cela paraîtra subtil peut-être ; mais, dans une foule de mots, l'accord du son et de l'idée n'est pas douteux. On y sent, en quelque sorte, comme dit encore ce philosophe romain, d'après le caractère des choses, un geste naturel de la bouche et de la voix : quasi gestus quidam oris et spiritûs naturalis est. Plus une langue cultivée conserve cette richesse des langues primitives, plus elle est énergique et juste. La nôtre l'était beaucoup. C'est en ce sens que Boileau disait : « La langue française est riche en beaux mots ; mais elle veut être extrêmement travaillée. » Rien n'est si commun, quand les langues vieillissent, que de voir ce premier rapport détruit, et l'introduction de mots abstraits, lourds, décolorés, en place ou à côté des expressions naturelles et vives.

Mais l'imitation par le son est bien loin de suffire à tous les besoins du langage. Sans doute, elle peut, par analogie, s'appliquer à d'autres perceptions que celles de l'ouïe, à peu près comme l'aveugle Saunderson, pour définir la couleur écarlate, la comparait au bruit du clairon. Elle peut même reproduire, par écho, beaucoup de sentiments et d'impressions intérieures de l'âme. Mais comment peut-elle s'appliquer aux abstractions, aux généralités, ou même aux objets qui n'éveillent aucune sensation précise et distincte ? A côté des signes naturels, il y aura donc beaucoup de signes de convention, quelques-uns arbitraires, indifférents, d'autres créés par un ingénieux rapport, et comme autant d'hiéroglyphes intellectuels. C'est l'étymologie par les idées, au lieu de l'étymologie par les sons et les lettres radicales. Il n'en est pas qui, bien connue, puisse prévenir davantage les faux sens et les barbarismes d'acception. Mais cette étymologie est suppléée par la définition, quand la définition est bien faite. Que le verbe qui exprime l'acte continu de l'intelligence soit dérivé de l'idée d'association ou de l'idée de comparaison, que l'on dise cogitare de cogere, rassembler, ou penser de

  1. « Verba esse naturalia magis quàm arbitraria. » (Nigidius, ap. Aul. Gell. lib. X, cap. IV.)
  2. « Vos cùm dicimus, motu quodam oris conveniente cum ipsius verbi demonstratione utimur, et labias sensim primores emovemus, ac spiritum atque animam porrò versum et ad eos, quibuscum sermocinamur, intendimus. At contrà cùm dicimus nos, neque profuso intentoque flatu vocis, neque projectis labris pronunciamus ; sed et spiritum et labias quasi intra nosmetipsos coercemus. » (Nigid. ap. Aul. Gell. ibid.)