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xxviii PRÉFACE.

pensare, peser, ce sont deux rapports également justes, qui se retrouveront dans l'explication complète du mot.

Pour la connaissance de la langue, pour l'art et le goût, ce qui importe surtout, c'est donc le choix des termes, et, tout à la fois, la précision et l'étendue des sens qu'on leur assigne. Cette dernière question ramène celle des citations textuelles. L'Académie fut opiniâtre à les rejeter. « Le Dictionnaire, disait-elle en 1694, a été commencé et achevé dans le siècle le plus florissant de la langue française ; et c'est pour cela qu'il ne cite point, parce que plusieurs de nos plus célèbres orateurs et de nos grands poëtes y ont travaillé, et qu'on a cru devoir s'en tenir à leurs sentiments. » Le même argument se renouvela sans doute avec les changements de l'Académie, et servit pour les éditions suivantes. Il n'est besoin de dire les objections qu'on y a faites : insuffisance d'un dictionnaire ainsi conçu, sécheresse des exemples formés de phrases communes ou proverbiales, manque presque absolu des acceptions oratoires et poétiques.

Bien que ces défauts aient été, en grande partie, prévenus ou corrigés, et que toutes les formes essentielles du langage aient successivement passé dans le Dictionnaire, on ne peut nier que l'autre méthode ne soit plus instructive, plus curieuse, plus agréable aux lecteurs, s'il y a des lecteurs de dictionnaires. Mais elle n'est pas, dans l'application, aussi sûre et aussi simple qu'on le croit. Il y aura toujours une extrême difficulté à poser la limite entre l'emploi, même le plus étendu, des ressources de la langue, et les saillies particulières de la passion et du génie des écrivains. L'idée d'un tel recueil, sous la forme de lexique ou d' index, se retrouve au déclin de toutes les langues ; et elle n'est propre souvent qu'à favoriser le retour à l' archaïsme, qui est une des phases et une des formes de ce déclin.

Loin de fixer et de retenir l'usage, un dictionnaire ainsi conçu, excellent pour l'histoire de la langue, en rend, pour le goût, les applications indécises et illimitées. Car si, comme le remarque Cicéron, il n'est rien de si absurde qui n'ait été dit par quelque philosophe, il n'est rien, en fait de langage, de si étrange, qui ne se trouve dans quelque écrivain même estimé. Ce n'est pas tout : les beautés d'expression les plus rares ont été faites pour la place ; elles sont scellées à la pensée : les arracher, les découper, les entasser dans les pages d'un lexique, c'est toujours en altérer le sens et le caractère, et souvent tromper le lecteur. Si le goût d'une pareille étude prévalait trop, notre langue serait traitée bientôt en langue morte, qu'on écrit trop souvent avec un mélange de vieilles phrases qui sont copiées, et de tours nouveaux qui sont barbares.

L'Académie ne devait pas songer à un tel recueil, dans la pleine et riche fécondité de notre idiome, après le dix-septième siècle. La langue classique se conservait par tradition, par habitude. Le goût avait fléchi ; le caractère des idées était moins naturel, plus raffiné, plus subtil : Fontenelle avait écrit. Le génie de l'antiquité, dont l'empreinte s'était si profondément marquée sur notre